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Page:Lasserre - Les Idées de Nietzsche sur la musique, 1907.djvu/106

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LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE


vieil air ! Que m’éveille-t-il ? » Et ce qui tout à l’heure nous impressionnait comme un sourd gémissement jailli du centre de l’être nous dit seulement à présent combien « nue et vide est la mer ». Et là où nous avions le sentiment de défaillir privés de souffle, dans la tension convulsive de tous les sentiments, là où nous ne tenions plus que par un fil à cette existence, maintenant nous n’entendons et ne voyons plus que le héros blessé à mort et pourtant ne mourant pas, avec son appel plein de désespoir : « Désir ! Désir ! Alors que je meurs, désirer ! et, de désir, ne pouvoir mourir ! » Et quand après une telle outrance et une telle profusion de dévorantes tortures, la joie délirante du cor, presque comme la torture suprême, vient nous fendre le cœur, alors entre nous et cette « ivresse en soi » se dresse Kurwenal transporté de joie, tourné vers le vaisseau qui porte Yseult. Si violemment que nous souffrions avec Tristan, en un certain sens cependant la pitié nous sauve de la souffrance originaire du monde, comme l’image symbolique du mythe nous sauve de la perception immédiate de l’idée suprême du monde, comme la pensée et la parole nous sauvent du débordement sans digue de la Volonté inconsciente. Grâce à cette magnifique illusion apollinienne, il nous semble que le royaume des sons s’avance lui-même vers nous, sous la forme d’un monde plastique ; il nous semble aussi qu’en lui,