Page:Lasserre - Les Idées de Nietzsche sur la musique, 1907.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE


homme pourrait n’être pas brusquement brisé ? Sous la misérable enveloppe fragile comme verre de l’individu humain, il pourrait supporter l’écho d’innombrables cris de joie et de douleur s’élevant du « lointain espace de la nuit des mondes », sans céder irrésistiblement à cet appel de berger de la métaphysique et se réfugier dans la patrie originaire ? Mais qu’il soit possible de recevoir l’impression d’une telle œuvre dans sa totalité, sans renier l’existence individuelle, qu’une telle création ait pu être édifiée sans écraser son créateur — d’où tirerons-nous la solution d’une telle contradiction ?

Entre notre suprême exaltation musicale et cette musique s’interposent le mythe tragique et le héros tragique, qui ne sont au fond que symboles des événements les plus universels que seule la musique peut exprimer directement. Mais le mythe, s’il restait à l’état de symbole, et que nous fussions en proie à la seule manière de sentir dionysiaque, demeurerait sans action sur nous et inaperçu ; à aucun moment il ne pourrait nous détourner de prêter l’oreille à l’écho des universalia ante rem. C’est ici qu’intervient l’action de la force apollinienne qui, par le baume salutaire d’une illusion ravissante, rend à lui-même l’Individu presque dissous. Nous croyons soudain ne plus voir que Tristan lui-même, lorsqu’il gît là sans mouvement et se demande, à peine conscient : « Le