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LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE


nité, où la musique aussi devait nécessairement avoir possédé cette pureté non surpassée, cette puissance, cette innocence que, dans leurs pastorales, les poètes savaient évoquer d’une manière si touchante. Ici nous pénétrons, dans ce qu’il a de plus intime, le principe générateur de ce genre d’art tout spécialement moderne, l’opéra : un besoin puissant se crée à soi-même un art, mais un besoin de qualité inesthétique : l’attrait passionné pour l’idylle, la croyance à l’existence d’un être humain artiste et bon à l’origine des temps. Le récitatif passa pour le langage reconstitué de cet homme primitif, l’opéra pour la patrie retrouvée de cet être d’une bonté idyllique ou héroïque, qui obéit dans toutes ses actions en même temps à un instinct artistique naturel, qui, à propos de tout ce qu’il a à dire, chante pour le moins quelque chose, et sous l’influence de la plus légère excitation du sentiment, chante soudain à pleine voix. Peu nous importe aujourd’hui qu’à l’aide de cette image nouvellement créée de l’artiste paradisiaque les humanistes de l’époque combattissent la vieille conception de l’Eglise sur la nature humaine corrompue et damnée : de ce point de vue il faut comprendre l’opéra comme la doctrine d’opposition qui professe la bonté de l’homme ; mais en même temps on avait trouvé en lui un moyen de consolation contre ce pessimisme auquel précisément les esprits sérieux de ce temps, au milieu