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LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE


Un psychologue aurait le droit de dire que ce que mes jeunes années entendaient dans la musique de Wagner n’a rien absolument à voir avec Wagner ; que, lorsque je décrivais la musique dionysiaque, je décrivais ce que j’avais, moi, entendu ; que je traduisais et transfigurais tout dans le sens du nouvel esprit que je portais en moi. La preuve (aussi forte qu’une preuve peut l’être) en est mon écrit Wagner à Bayreuth ; à tous les passages qui sont décisifs quant à la signification psychologique, il n’est question que de moi, — on peut sans réserve substituer mon nom ou le mot « Zarathustra », là où le texte porte le mot Wagner. Le portrait tout entier de l’artiste dithyrambique est le portrait du poète en moi préexistant du Zarathustra, dessiné avec une profondeur radicale et sans effleurer un seul instant la réalité wagnérienne. Wagner lui-même en eut l’idée ; il ne se reconnut pas[1],[2]. De même la « Pensée de Bayreuth » s’était transformée en quelque chose qui

  1. Assertion peu compatible avec une lettre déjà citée, où Wagner, en réponse à l’envoi de l’écrit de Nietzsche, lui demande : « Mais d’où tirez-vous donc cette expérience de ce que je suis ? » (Förster-Nietzsche, II, p. 242.) Nietzsche lui-même, deux ans après la composition de Wagner à Bayreuth, s’expliquait tout autrement sur le rapport du portrait au modèle : « Mon portrait de Wagner n’est décidément pas individuel ; beaucoup dirent que ce portrait était le vrai. Parmi les effets puissants que produisent de telles natures, c’en est un que de tromper le peintre… » (t. XI, § 381).
  2. Förster-Nietzsche, II, p. 259.