Page:Latocnaye les causes de la révolution.djvu/238

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Ce fut à Arlon, que la désolation la plus grande, commença à se faire sentir générallement parmi les émigrés ; on voyait que la campagne était manquée, et toute éspérance de retour fermée : il s’en fallait cependant beaucoup, que l’on s’imaginat que ce fut pour jamais : l’on donnait des passeports, à tous ceux qui demandaient à se retirer : cependant l’on ne parlait point encore de licenciement, et un grand nombre, soit par nécéssité, soit par l’idée d’être employé, réstait à ses étendards ; la misère, le chagrin, la fatigue, le manque de tout, les humiliations qu’on recevait tous les jours, tant des habitans que des gouverneurs des pays où nous étions, nous avaient aigris les uns contre les autres. Les égards mutuels, la politésse, l’amitié même étaient bannis, et avaient fait place à une humeur querélleuse qui se développait prèsque tous les jours, pour des sujets souvent si ridicules, que même dans ce temps là, on ne pouvait s’empêcher d’en rire, lorsque la premiere colere était passée.

Les paysans nous avait d’abord fourni les vivres gratis, mais il vint bientôt un ordre d’Arlon, de ne rien donner sans payer. Cependant le commandant consentit, qu’on nous fournit le couvert et quelque peu de paille d’avoine pour nos chevaux, plus sur des bons comme en France, mais sùr des reconnaissances, dont la forme nous fut donnée, pour nous faire entendre, que cela ne nous était point dû.

Nous traversâmes cette partie des Ardennes qu’on apelle Famine : jamais nom ne nous sembla mieux donné : nous suiviont le quartier général et une partie de notre