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un zèle ardent qu’excitaient encore ses succès, il ne modérait que faiblement ces imprudentes et indiscrètes manifestations qui devaient lui coûter bientôt si cher.

On était arrivé au mois de juin, et jusque-là, endormis dans une fausse sécurité, les chrétiens de la capitale jouissaient sans trop d’appréhension du bonheur de posséder un prêtre auprès d’eux, lorsque subitement, le 27 de ce mois, des satellites envoyés par la cour firent irruption dans la maison du P. Jacques. Un traître Pavait dénoncé aux ennemis des chrétiens. Averti cependant assez tôt, le prêtre put s’esquiver et passer inaperçu dans une autre maison. Mathias T’soï, par sa présence d’esprit, fut le sauveur du prêtre en ce danger pressant. La maison lui appartenait. Quand il sut que les satellites arrivaient, tandis que le P. Jacques s’échappait, il se coupa vite les cheveux de façon à imiter l’étranger, et, en sa qualité d’interprète, comme il parlait facilement le chinois, il s’en servit pour dépister les prétoriens et les empêcher d’atteindre leur proie.

« Où est le Chinois ? s’écrient ceux-ci en se précipitant dans sa maison.

— C’est moi, » leur répond-il avec beaucoup de calme.

Quelques instants après, il était entraîné devant le juge.

Le prêtre chinois avait la barbe assez fournie, le visage de Mathias, au contraire, en était dépourvu. La méprise des gardes ne pouvait durer longtemps ; aussi la firent-ils expier cruellement au généreux chrétien en déchargeant sur lui leur colère.

Ce même jour furent arrêtés Paul Ioun et Sabas Tsi, dénoncés au gouvernement comme ayant introduit l’étranger en Corée.

Les juges croyaient par leurs aveux pouvoir découvrir la retraite du P. Tsiou. Aussi, la nuit même de leur arrestation, les deux prisonniers eurent-ils à subir les tortures les plus cruelles. Mais tout fut inutile ; ils ne firent aucune révélation touchant le prêtre. Tandis que les bourreaux s’acharnaient sur leurs victimes, qu’ils leur broyaient les genoux et les jambes à coups de bâtons et de la planche destinée aux voleurs insignes, une joie toute céleste inondait leur visage. Cette nuit-là même, ils consommèrent leur martyre dans la prison, et leurs corps furent jetés dans le fleuve.