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en vain. Le P. Tsiou fut très prudent et ne compromit aucun chrétien. Il profita même de l’affluence des curieux aux débats du procès, afin de faire une éloquente apologie de la religion. Mais ceux-ci étaient trop irrités pour que la parole du généreux confesseur produisit une impression salutaire sur leur esprit prévenu.

Selon le traité conclu entre la Chine et la Corée, le P. Tsiou aurait dû être remis aux autorités de son propre pays. Elles seules devaient le punir du crime qu’il avait commis en franchissant la frontière coréenne. Les ministres tinrent plusieurs fois conseil à ce sujet et préférèrent ne point lâcher leur proie. Ils votèrent donc sa mort, et la régente donna son approbation à cette audacieuse conduite. Un général fut désigné pour exécuter la sentence ; mais la crainte de se trouver compromis dans une affaire qui pouvait avoir des suites désagréables le fit tomber malade à propos, et un autre fut nommé à sa place.

Jusqu’à ce moment on avait épargné au P. Tsiou les tortures accoutumées dans les interrogatoires. Mais on ne tint pas la même réserve, dès que la sentence de mort eut été portée. On lui appliqua selon l’usage, au sortir de la prison, une cruelle bastonnade sur les jambes, puis on le conduisit sur le lieu destiné aux exécutions militaires des grands criminels d’État.

Porté en litière, le confesseur de la foi dominait de toute la tête la foule des curieux accourus pour considérer le grand chef des rebelles. À une lieue de la ville, après avoir accepté une tasse de vin de riz, il lut avec calme la sentence de mort portée contre lui. Alors, élevant la voix avec force, il s’écria :

« Je meurs pour la religion du Seigneur du ciel ! Malheur à vous, hommes de Corée ! Dans dix ans votre royaume éprouvera de grandes calamités. Alors vous vous souviendrez de moi. »

Après qu’il eut ainsi parlé au peuple, on lui perça chaque oreille d’une flèche qu’on y laissa suspendue par le fer ; on le promena trois fois autour de l’assemblée, qui faisait un grand cercle au centre duquel il fut ramené. Là, il se mit à genoux et inclina la tête.