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« J’aurais encore mille choses à vous dire, mais au dehors c’est un tapage affreux, et je puis écrire à grand’peine. Chaque fois que l’on appelle un prisonnier, il me semble qu’il s’agit de moi. Je m’interromps, je reprends et je cesse encore…

« Pour Jean, on l’appelle mon époux, et moi je l’appelle mon fidèle ami. Ici-bas, il avait tant d’égards pour moi, habitant le séjour du bonheur, mes cris de crainte et de douleur ne sortiront point de son oreille, et il n’oubliera pas nos promesses. Non, certes, notre amitié ne saurait être rompue ! Oh ! quand donc, sortant de cette prison, irai-je à la rencontre de notre grand Roi et Père commun, de la Reine du ciel, et de mes parents et de mon fidèle Jean, pour jouir avec eux de la joie !…

« Voilà une bien longue lettre et bien des paroles. N’ayant aucune vertu, j’ai eu l’audace d’exhorter les autres. Vraiment ne suis-je pas comme ces bonshommes de bois placés sur le bord des chemins, qui enseignent la route sans faire jamais eux-mêmes un seul pas. Toutefois, puisque l’on dit que les paroles d’un mourant sont droites, peut-être les miennes ne seront-elles pas trop fautives. Lisez-les avec indulgence.

« Niou-Hel. »


Tel est le récit naïf qu’écrivait de sa prison la pieuse Luthgarde, véritable testament d’une martyre déjà enivrée des joies du triomphe, et toute prête à cueillir la glorieuse palme. Ces désirs de donner sa vie pour son Maître furent bientôt exaucés. Son frère venait d’avoir la tête tranchée, et déjà elle avait apposé sa signature, selon la loi coréenne, à la sentence qui la condamnait elle-même à la peine capitale. Deux jours après, le mandarin lui fit briser les doigts des pieds, ainsi qu’aux autres confesseurs enfermés avec elle. D’après une pieuse tradition, ils ne ressentirent aucune douleur de ce barbare supplice,

En allant à la mort, Luthgarde conserva tout son courage. Sa belle-mère et sa belle-sœur s’apitoyaient sur le sort des petits enfants qu’elles laissaient sans aucun soutien et condamnés à un lointain exil. Elle les consolait et ranimait leur courage, tandis