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la sainte Vierge, qui n’a jamais abandonné ceux qui mettent leur confiance en elle, je m’avançai vers la porte d’Ei-tsiou. Un soldat était sur le seuil pour demander les passeports à ceux qui entraient. En ce moment, arrivent des Coréens venant de Pien-men avec un troupeau de bœufs. Je me joignis à eux et me glissai de suite au milieu des bœufs, dont la haute taille me déroba un instant aux regards de la sentinelle. L’examen se faisait au milieu des torches, et un officier se tenait sur un lieu plus élevé afin que personne ne pût s’enfuir. Les premiers qui avaient été examinés commençaient à s’en aller ; je me mis à les suivre sans mot dire. Mais l’officier m’appela par derrière, me reprochant de passer sans avoir montré mon passeport. Comme il continuait ses reproches, je lui répondis :

« — Mais on a déjà donné les passeports, »

« Et je m’esquivai en toute hâte à travers une ruelle du faubourg, craignant d’être poursuivi.

« Je ne connaissais personne, et je ne pouvais demander asile nulle part. Il me fallut donc continuer ma route toute la nuit. Je fis environ dix lieues. À l’aurore, transi de froid, j’entrai dans une auberge, of plusieurs hommes étaient assis. En voyant ma figure et mes vêtements, en m’entendant parler, ils dirent que j’étais un étranger. On s’empare de moi, on me découvre la tête et l’on remarque mes bras chinois. Ces hommes, excepté un qui me prit en pitié, voulaient me dénoncer comme un espion, un transfuge ou un malfaiteur.

« Je répondis que j’étais Coréen et innocent, que si j’étais pris, ils n’avaient pas à s’inquiéter. Enfin ils me chassèrent, et comme je leur avais dit que j’allais à Séoul, ils envoyèrent quelqu’un pour s’assurer du côté vers lequel je me dirigeais.

« J’étais très exposé en tombant entre les mains des satellites, l’argent que je portais sur moi suffisait pour me convaincre de brigandage, et d’après la loi j’eusse été puni de mort. Dès que celui qui m’espionnait fut entré à l’auberge pour annoncer que j’allais dans la direction de la capitale, je fis un long détour et je repris le chemin de la Chine. Après le lever du soleil, n’osant plus suivre la grande route, je me cachai sur une montagne