Page:Launay, Dallet - La Corée et les missionnaires, 1901.pdf/298

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séjourner de nouveau une huitaine à un autre ancrage. Oh ! qu’ils sont lourds, qu’ils sont accablants, ces jours passés au fond d’une cale ! Il me paraît qu’on pourrait supporter, sans succomber, quelques mois d’une captivité assez dure, et pourtant quelques semaines passées dans notre chambre nous abattent complètement. Monseigneur est si faible, qu’il ne peut écrire quelques mots ; mon confrère paraît sans force, comme s’il avait été meurtri de coups ; pour moi, quoique moins maltraité, je sens à ma salive noircie par l’air, à ma poitrine haletante, oppressée, irritée, qu’un tel genre de vie serait bientôt mortel.

« Le bon Dieu nous arrache enfin aux rivages chinois ; nous nous dirigeons directement vers la Corée, dont nous ne sommes éloignés que de quatre-vingts lieues. Corée ! Corée ! Ce seul nom, qui résonne si bien à tout cœur ardent pour le salut des âmes ; ce nom, qui n’a retenti en Europe que pour annoncer des persécutions et des martyres, ce nom nous ranime et nous fortifie. En un instant le passé est oublié ; toutes nos pensées, tous nos désirs sont pour cette terre qui renferme jusqu’ici les tombes de sept missionnaires seulement, et, sur ces sept, cinq ont donné leur vie pour Jésus-Christ.

« … Le 19 mars apparaît la côte de Corée. Six jours de recherches infructueuses fatiguent déjà notre équipage. Nous visitons tous les mouillages du littoral, mais sans succès. Nous commençons déjà à nous persuader de l’inutilité d’autres recherches, lorsque, le vendredi saint, on tire un coup de canon pour attirer l’attention de nos gens. À peine cette détonation mesquine mais inaccoutumée a-t-elle fait grouper les Coréens sur le rivage, que nous voyons arriver de la haute mer une barque avançant avec peine, malgré les efforts des rameurs. Elle paraît se diriger insensiblement vers nous. Bientôt nous pouvons distinguer l’équipage, qui est composé de huit hommes. Tous se donnent beaucoup de mouvement, leurs gestes sont précipités. Malgré le calme plat, la barque a franchi un grand espace, et, passant aussi près de nous qu’il est possible de le faire sans se compromettre, l’un d’eux jette à la dérobée le nom de l’un de nos courriers, qui se hâte d’y répondre. Dieu soit loué ! Nous voilà au comble de nos vœux !