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« À peine la voix de notre courrier a-t-elle été entendue, que, par une manœuvre subite, les Coréens déploient les voiles entre eux et le rivage, et, protégés par elles, ils font ensemble un grand signe de croix ; puis, joignant leurs mains sur leur poitrine, ils se prosternent devant la bénédiction de leur évêque ; après quoi ils se relèvent, font quelques démonstrations de joie et se dirigent vers la terre, en attendant qu’ils puissent nous emmener avec eux.

« La nuit du samedi saint, la barque coréenne se détache du rivage, passe près de nous pour que nous puissions l’apercevoir et prend la route de la pleine mer. Notre jonque ne tarde pas à la suivre, et malgré le calme plat, et après beaucoup d’efforts des matelots des deux bords, nous nous joignons. En moins d’une heure tout est transbordé, nous avons fait nos adieux à la jonque chinoise, nous sommes installés dans notre nouveau logement, et nos pauvres chrétiens font force de rames pour être au point du jour un peu éloignés de l’endroit où la contravention a eu lieu.

« … On a besoin de temps en temps de nous recouvrir d’une natte, sur laquelle on étend une épaisse couche de paille, et cela afin qu’en passant tout près des autres barques, ou en recevant la visite du mandarin, — ces messieurs font de fréquentes apparitions sur les barques, — on ne puisse pas soupçonner qu’un être vivant est enseveli sous un tel tas de paille foulée.

« … Une barque nous conduit en quatre jours dans le fleuve de la capitale, à dix lieues de cette ville. Le moment de sortir de notre retraite approche. Chacun se revêt d’un habit coréen tel que le portent les nobles en deuil. La pièce la plus remarquable de notre costume, en toile grossière et un peu rousse, est un énorme chapeau en bambou tressé, dont la forme imite parfaitement les abat-jour de vos lampes à modérateur, mais si grand que, le haut du cône s’élevant au-dessus de la tête, le limbe inférieur vient entourer les épaules et la poitrine et cache ainsi admirablement nos visages européens. On a, au surplus, une toile fixée à deux petits bâtons, de manière à former un éventail, que l’on place devant sa figure. Un indiscret cherche-t-il à voir vos traits,