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voix que c’était l’Européen qu’on avait vu passer la veille montant à Séoul.

Le Père Jozeau[1] avait le bas de ses vêtements tout mouillé et couvert de boue ; il se tenait droit au milieu du cercle des soldats chinois, dans une attitude tranquille ou plutôt résignée. Tantôt il les regardait avec assurance comme un homme sans peur et sans reproches ; tantôt il levait les yeux au ciel, dans l’attitude de la prière.

Brusquement, un soldat s’approcha par derrière, lui prit la tête entre les deux mains et fit un effort violent comme pour le soulever ; les témoins pensent qu’on voulait par là allonger le cou de la victime et le rendre plus souple au coup de sabre.

Presque aussitôt on vit le missionnaire faire un bond en l’air : les uns pensent qu’il fut à ce moment piqué aux reins par les soldats et que la douleur subite le fit ainsi bondir ; d’autres, qu’il essaya peut-être de s’arracher à ses bourreaux pour se jeter dans le fleuve et tenter de se sauver à la nage. Mais il fut retenu par quatre soldats, qui, lui prenant les bras, les ramenèrent derrière le dos ; il tomba la tête en avant. À ce moment, d’autres soldats le frappèrent de leurs sabres. Le premier coup porta sur la nuque, le second sur la tête même, et on vit la cervelle jaillir. La victime ne s’affaissa qu’au cinquième coup de glaive, mais la tête ne fut pas entièrement séparée du tronc. On le frappa aussi sur les bras et sur les jambes. Il était environ cinq heures du soir, le dimanche 29 juillet.

Le lieu de l’exécution est la plage de sable de la rive gauche du fleuve, lieu qui sert à la ville de Kong-tjyou pour l’exécution des criminels de marque.

Le domestique du missionnaire avait assisté à son exécution ; il était là à quelques pas de la scène, tenant toujours le cheval par la bride. Les soldats chinois ne paraissaient pas faire attention à lui, quand un des Tong-hak qui les accompagnaient s’écria ;

« Et ce coquin de valet, où est-il ? »

En entendant ces mots, le pauvre homme essaya de fuir ; mais

  1. Lettre de Mgr Mutel, Missions catholiques, 9 novembre 1894.