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Pères Baudonnet et Villemot ont dû se réfugier dans les cavernes des montagnes, où ils ont passé quinze jours. Quant aux chrétiens, s’ils avaient déjà beaucoup souffert, leur position devint à partir de ce moment absolument intolérable. Dans les deux provinces Tjyen-la et de Tchyoung-tchyeng, il n’est peut-être pas un seul village chrétien qui n’ait été pillé et saccagé. Les habitants sont tous en fuite, et l’on se demande avec douleur aujourd’hui s’il restera des survivants de ces onze mille chrétiens.

« Je note aussi que les soldats chinois, et un général à leur tête, n’ont pas craint de tremper leurs mains dans le sang d’un missionnaire français quelques jours seulement après que la mission française de Séoul avait donné abri et refuge au moment du danger au secrétaire de la légation chinoise, deux jours après que la canonnière française le Lion, ayant à son bord ce même secrétaire, axait arraché à une mort certaine une cinquantaine de soldats chinois naufragés du Kao-cheng. »

Cette mort, le Père Jozeau l’avait vaillamment acceptée d’avance. Le récit de son évêque nous le prouve, et le martyr lui-même nous le dit dans la lettre suivante, datée du 25 juin :


« Nous sommes ici dans une véritable guerre engagée depuis un mois par des rebelles[1] ; le canon et les fusils retentissent de tous côtés : je me trouve juste au milieu du mouvement. Chaque jour des centaines de soldats ou rebelles voyagent continuellement autour de chez moi. Les insurgés voudraient nous chasser ; jusqu’à ce jour ils n’ont osé, sachant qu’à la capitale, et tout près, des vaisseaux de guerre de toute nationalité sont là pour nous défendre. Qu’en résultera-t-il ? On ne peut encore le savoir. Les Coréens, incapables de supprimer cette rébellion, ont appelé les Chinois à leur secours. J’espère par la divine Providence n’avoir point d’affaires, et après tout, s’il faut y mourir, je n’aurai vraiment aucun regret en mourant à ma tâche.

« N’ayez point souci de cette affaire ; car jusqu’à présent il n’y a aucun risque. Du haut de mes montagnes, j’ai vu incendier la plus grande ville capitale de ma province ; beaucoup de morts et

  1. À ce moment, il ne s’agissait que d’une guerre civile ; la Chine et le Japon n’avaient encore ni déclaré ni commencé les hostilités.