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bien humblement de penser à donner à son petit serviteur un district quel qu’il soit. »

« Le ministre, qui n’avait d’autre intention que de lui demander des renseignements, resta interdit devant cette réponse, et, n’osant pas contrister trop le pauvre moun-kaik, lui donna cette préfecture.

« D’autres fois ce sera un trait d’esprit, une bouffonnerie qui mettra le moun-kaik sur le piédestal. L’exemple que je vais citer est demeuré célèbre dans le pays. Un bachelier militaire faisait très fidèlement sa cour au ministre de la guerre. Quinze années s’étaient écoulées depuis qu’il avait commencé ce rude métier, et cependant rien ne semblait indiquer qu’il fût plus avancé que le premier jour. À chaque moment des nominations se faisaient sous ses yeux, et néanmoins il n’avait encore pu surprendre ni un signe, ni une parole, qui dénotât qu’on pensait à lui. Son talent à raconter des histoires, l’avait rendu le boute-en-train de la société habituelle du ministre, et ses absences, lorsqu’elles avaient lieu, produisaient un vide notable dans l’assemblée. Un temps vint où il cessa tout à coup de se montrer dans les salons, et quoique les grands, en ce pays-ci, fassent en général peu d’attention à ces sortes de choses, notre ministre remarqua que son assidu moun-kaik avait disparu ; mais s’imaginant qu’il était tombé malade, ou bien qu’il s’était mis en voyage pour des affaires particulières, il ne s’en inquiéta pas davantage. Cette absence du moun-kaik se prolongeait depuis près de trois semaines, lorsqu’enfin, un beau jour, il reparaît tout pétillant de joie et s’en vient avec empressement saluer le ministre. Celui-ci, content aussi de le revoir, n’a rien de plus pressé, après avoir reçu son salut, que de lui demander comment, après une si longue disparition, il est enfin tombé du ciel.

« — Ah ! répond le moun-kaik, Votre Excellence dit en ce moment plus vrai qu’elle ne pense !

« — Quoi donc ! reprend le ministre, expliquez-vous, avez-vous été malade ?

« — Un bachelier, qui est sur le pavé depuis quinze ans, ne peut manquer d’avoir une maladie que Votre Excellence connaît