Page:Launay, Dallet - La Corée et les missionnaires, 1901.pdf/83

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aide, deviennent grands docteurs, les roturiers nobles, les criminels innocents, les voleurs magistrats ; bref, il n’y a pas de difficultés que le moun-kaik et l’argent ne puissent aplanir, pas de souillure qu’ils ne parviennent à laver, pas de crime qu’ils ne sachent justifier, pas d’infamie qu’ils ne viennent à bout de dissimuler et d’ennoblir.

« Cependant le moun-kaik ne perd pas de vue que sa profession actuelle n’est qu’un chemin pour parvenir au but de son ambition. Toujours vigilant, toujours aux aguets, il n’examine que le moment favorable où il pourra surprendre ou arracher à son protecteur le don de quelque fonction, de quelque dignité. Malheureusement pour lui son influence n’est pas seule en jeu. L’argent, la parenté, l’intérêt, les sollicitations diverses, font porter ailleurs le choix du ministre, et souvent l’infortuné passe de longues années dans une pénible attente. Dans ce cas, le moun-kaik déploie une constance admirable. Au reste la vertu dominante du Coréen candidat est la patience. Il n’est pas rare de voir des vieillards à cheveux blancs se traîner avec peine pour la vingtième, la quarantième ou même la cinquantième fois aux examens du baccalauréat. Notre moun-kaik est, lui aussi, armé d’une patience héroïque ; plutôt que de désespérer et d’abandonner la partie, il continuera indéfiniment à vivre de misères et de déceptions. Enfin, s’il ne peut emporter l’affaire par la douceur et les caresses, il s’armera quelquefois d’impudence, et fera comme violence à son protecteur.

« Un bachelier de la province Hoang-haï était depuis trois ou quatre ans très assidu dans les salons d’un ministre, et comme il avait de l’esprit, aucun des moyens d’attirer un sourire de la fortune n’avait été négligé. Néanmoins, nulle lueur d’espoir ne brillait encore. Un jour qu’il se trouvait seul avec le ministre, celui-ci, occupé à chercher un mandarin pour un district, se prit à dire :

« — Tel district est-il un bon mandarinat ? »

« Le bachelier se lève brusquement, se prosterne aux pieds du ministre, et répond d’un ton pénétré :

« — Votre Excellence est vraiment trop bonne, et je la remercie