Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/39

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— Comme tu es pâle ! La fin de cette veillée ne se passera pas sans que quelque événement funeste nous plonge tous les trois dans le lac du désespoir !

J’entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.

— Mon fils !

— Ah ! mère… j’ai peur !

— Dis-moi vite si tu souffres.

— Mère, je ne souffre pas… Je ne dis pas la vérité.

Le père ne revient pas de son étonnement :

— Voilà des cris que l’on entend quelquefois, dans le silence des nuits sans étoiles. Quoique nous entendions ces cris, néanmoins, celui qui les pousse n’est pas près d’ici ; car, on peut entendre ces gémissements à trois lieues de distance, transportés par le vent d’une cité à une autre. On m’avait souvent parlé de ce phénomène ; mais, je n’avais jamais eu l’occasion de juger par moi-même de sa véracité. Femme, tu me parlais de malheur ; si malheur plus réel exista dans la longue spirale du temps, c’est le malheur de celui qui trouble maintenant le sommeil de ses semblables…

J’entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.

— Plût au ciel que sa naissance ne soit pas une calamité pour son pays, qui l’a repoussé de son sein. Il va de contrée en contrée, abhorré partout.