Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/40

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Les uns disent qu’il est accablé d’une espèce de folie originelle, depuis son enfance. D’autres croient savoir qu’il est d’une cruauté extrême et instinctive, dont il a honte lui-même, et que ses parents en sont morts de douleur. Il y en a qui prétendent qu’on l’a flétri d’un surnom dans sa jeunesse ; qu’il en est resté inconsolable le reste de son existence, parce que sa dignité blessée voyait là une preuve flagrante de la méchanceté des hommes, qui se montre aux premières années, pour augmenter ensuite. Ce surnom était le vampire !…

J’entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.

— Ils ajoutent que, les jours, les nuits, sans trêve ni repos, des cauchemars horribles lui font saigner le sang par la bouche et les oreilles ; et que des spectres s’assoient au chevet de son lit, et lui jettent à la face, poussés malgré eux par une force inconnue, tantôt d’une voix douce, tantôt d’une voix pareille aux rugissements des combats, avec une persistance implacable, ce surnom toujours vivace, toujours hideux, et qui ne périra qu’avec l’univers. Quelques-uns mêmes ont affirmé que l’amour l’a réduit dans cet état ; ou que ces cris témoignent du repentir de quelque crime enseveli dans la nuit de son passé mystérieux. Mais le plus grand nombre pense qu’un incommensurable orgueil le torture, comme jadis Satan, et qu’il voudrait égaler Dieu…