Page:Lavedan - Il est l’heure, AC, vol. 47.djvu/11

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Une large rumeur monta, une rumeur qui se prolongea pendant plusieurs minutes avant de s’apaiser. Les mêmes pensées tumultueusement se pressaient… se pressaient dans tous les cerveaux : « On va donc le réveiller à la minute… On le réveille… Il ne les a pas entendus entrer… il ronfle. On lui touche l’épaule du doigt. Il grogne, ouvre les yeux…, et le voilà debout, pieds nus, hagard.

— Hein ? quoi ?… ma grâce ?

Alors une voix lente et paternelle le détrompe.

— « Non, mon ami, pourvoi rejeté… courage… bien mourir. »

Et puis la toilette… des soins, des attentions… « Un doigt de vin, voulez-vous ? » Le prêtre est là qui ne le quitte pas, le bon Dieu à la main… Et rapidement on le ligotte, on le prépare… Et puis ceci… Et puis cela… Déjà il doit descendre, s’avancer par les longs corridors… Ça ne peut plus tarder maintenant… Une question de minutes ! Patience ! Patience ! »

Il faisait clair à présent, et dans le ciel limpide fondaient les dernières étoiles. Tout le monde se serrait, se tassait contre les sergents de ville échelonnés sur le bord du trottoir. Devant la guillotine, M. Deibler, fébrile, allait et venait, tapant des pieds. À tout instant des cris s’élevaient : « C’est lui !… Le voilà ! » Mais la haute porte de la prison demeurait close et l’on retombait, après chaque alerte, à une angoisse plus torturante, plus aiguë.

Les gendarmes, raides en selle, la mâchoire crispée sous la jugulaire, se mordaient les lèvres, à fond. Dans les arbres, les petits moineaux, par centaines…

…Mais un silence terrible, instantanément se fit. Un immense frisson nous glaça tous, debout, dressés sur la pointe des pieds, cou tendu, les yeux tirés hors des paupières, et fixes… La porte s’ouvrait.

À partir de cette minute, je me rappelle tout, absolument tout. Mon voisin m’avait empoigné le bras.

— « Si je m’en vais, monsieur, retenez-moi ? » Derrière moi quelqu’un dit : « Le curé a le trac… c’est son premier. »

Je regardais affamé. Immédiatement ce fut lui qui m’apparut : blanc, sans bras, les jambes collées, la tête rasée de partout, ronde comme une boule ; puis, à ses côtés, le prêtre tout noir, encore jeune, répétant ces seuls mots qui s’entendaient très distincts : « Mon ami, mon cher ami… »

Les aides-bourreaux, pleins de prévenance, poussaient par derrière : « là… allons !… là… » sans brusquerie aucune.

Vingt pas de la porte à l’échafaud.

Campi d’abord en fit sept à huit, par petits sauts. Je revois ses espadrilles et la mince courroie qui sanglait son pantalon.