Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/101

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Tous les regards sont tournés vers l'instituteur de Maleval. Celui-ci tremble de tous ses membres ; ses oreilles bourdonnent, son cœur tressaute dans la poitrine ; il n'entend plus et, l'air égaré, demeure à sa place, immobile, ne comprenant pas. Ses collègues prennent cela pour de l'émotion ; on lui parle, on l'encourage. Lui ne pense qu'à une chose; c'est qu'il n'a vraiment pas de chance, c'est qu'il est pris au dépourvu et qu'il va être pitoyable et ridicule. Non, c'était trop jouer de malheur! lui, qui tâchait à passer inaperçu, il est obligé d'affronter les feux croisés de ces regards qui lui font mal, de ces regards qui vont l'examiner des pieds à la tête, contempler et détailler à loisir sa mine piteuse et sa tenue de misérable, de pauvre hère. Pendant une mortelle demi-heure, il lui faut parler, dans cet espace découvert, devant ce tableau noir qui l'épouvante, sous les yeux de son chef qui va le mal juger !

— Allons, monsieur Coste, veuillez avancer, — dit l'inspecteur qui sourit mais se sent flatté et ému du trouble violent de son subordonné.

À cette invite nouvelle, Coste se dresse ; sa tête se vide, ses jambes flageolent, se dérobent sous lui; il est prêt à défaillir. Enfin, il avance, en titubant. Son visage, amaigri par les privations et les fatigues, est d'une pâleur terreuse. D'un regard sévère, l'inspecteur, devant qui il se trouve maintenant, l'enveloppe, l'examine. Le front du chef se plisse : est-ce de l'impatience, est-ce du mécontentement ? Le pauvre homme blêmit encore plus ; peu s'en faut qu'il ne s'enfuie, apeuré, trop malheureux.

— Allons, monsieur Coste, veuillez commencer... Vous avez à faire une leçon de morale au cours moyen sur nos devoirs de justice et de charité... Nous vous écoutons.

Dérision ! parler de justice et de charité, quand on est soi-même si misérable ! sa gorge se serre, sa bouche manque de salive. Comme dans un éclair, il pense aux siens et alors,