Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/112

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Faute de donner satisfaction à des désirs et à des espérances légitimes, un sourd malaise gagne de jour en jour les rangs compacts des instituteurs. Car ce n’est pas la soif des jouissances, l’amour de l’argent pour l’argent qui les pousse : non, ils ne demandent que de pouvoir subvenir à leurs besoins et sauvegarder leur dignité compromise par l’insécurité de leur situation morale et surtout matérielle. Les temps sont durs et on ne peut exiger du maître d’école un désintéressement qui a pour lui les pires conséquences auprès des paysans si méprisants pour l’instituteur besoigneux…

— C’est la pure vérité, — s’exclama-t-on autour de Coste. — Nous sommes de moins en moins considérés dans les villages ; c’est pire qu’autrefois.

— Oui, c’est pire qu’autrefois, vous l’avez dit, — continua Coste. — A tout moment on fait luire à nos yeux, dans de belles phrases, les prétendus avantages que nous avons acquis.

Des blagues que tout cela. Jadis l’instituteur avait plusieurs cordes à son arc et était autant sinon plus heureux que nous. Moins surveillé, moins embêté qu’aujourd’hui, plus libre dans sa vie et dans sa classe, il vivait presque en paysan. Sonneur de cloches, chantre à l’église, fossoyeur même, quêtant de porte en porte des cadeaux, sorte de dîme volontaire, quelle dignité pouvait-il avoir, nous objecte-t-on ? Soit : mais du moins tout cela augmentait son mince traitement, faisait bouillir son pot et il était sans souci du lendemain, paysan, je le répète, vivant au milieu des paysans et comme eux. Est-ce notre cas ? On prétend qu’on a fait beaucoup pour nous et on a tout dit quand on nous montre l’instituteur d’autrefois gagnant au plus trois ou quatre cents francs. En réalité, avons-nous davantage ? Que l’on compare. En ce temps-là tout était moins cher, la vie plus facile, et, balance établie, nous sommes plus pauvres aujourd’hui avec nos mille francs — sans compter un tas