Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/113

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d’embêtements en plus — que l’instituteur d’il y a cinquante ans ne l’était avec ses trois cents francs, ses menus profits et les cadeaux qui le nourrissaient une bonne partie de l’année.

On nous dit encore : Comparez le budget actuel de l’instruction publique avec celui d’autrefois. — Et après ? On n’avait pas cent mille instituteurs alors. Vous avez augmenté le nombre des écoles, diffusé l’instruction, bâti des monuments, mais, franchement, payez-vous les instituteurs comme il faudrait, comme l’exigent les besoins de leur famille, le rang qu’ils doivent tenir ? Jadis, le maître d’école s’habillait comme il voulait et nul ne trouvait à redire à sa blouse et à ses sabots. N’était-il pas un paysan comme les autres ? Aujourd’hui, non. Il doit vivre autrement : on lui demande de la tenue ; il est devenu une sorte de petit bourgeois, en apparence, n’ayant qu’un traitement fixe de plus en plus insuffisant, car tout renchérit même dans les villages les plus reculés, car, à part le secrétariat de la mairie parfois, il n’a point d’autres ressources que ses mille francs, car, officiellement, il ne peut accepter aucun cadeau. S’il est sans ressources du côté de ses parents, si sa femme n’a point eu de dot, si des charges de famille l’écrasent, que fera-t-il ? Et pourtant, il a eu vingt ans, il a aimé une jeune fille, pauvre comme lui, et, insouciant de l’avenir, il s’est dit simplement : Pourquoi n’épouserais-je pas celle que j’aime ? Pourquoi n’aurais-je pas de beaux enfants ? Est-il juste qu’il souffre de ne pas avoir su calculer, d’avoir écouté son cœur, et méprisé l’argent qui prend plus tard sur lui sa terrible revanche ?

Coste s’arrêta. Sa voix, en prononçant ces derniers mots, tremblait douloureusement comme fêlée par le sanglot que faisait monter la pensée amère des souffrances dont il saignait actuellement. Autour de lui, ses collègues se taisaient toujours, de plus en plus gagnés par cette plainte sincère ;