et si maigres que, pareilles aux cercles d’un tonneau, leurs côtes transparaissaient, saillantes, sous la peau tendue, elles roulaient lourdement sur la route très belle, soulevant des tourbillons de poussière, dans un bruit saccadé de ferrailles et de bois creux, avec les allures dégingandées de canards apeurés. Le village, qui somnolait entre ses montagnes, semblait se réveiller à tout ce tintamarre que répercutaient les échos. En un clin d’œil, la rue déserte s’animait. Pendant que chaque voiturier allait quérir dans l’écurie des chevaux frais pour remplacer ceux qui, dételés, y entraient, la tête pendante et en boitillant, les voyageurs, à l’étroit dans l’intérieur de la diligence, sautaient à terre. Ils s’ébrouaient aussitôt, s’étiraient en bâillant, marchaient ou tapaient du pied pour se dégourdir les jambes qui leur fourmillaient ou bien de leur mouchoir essuyaient la fine cendre qui couvrait leurs vêtements et poudrait leurs cheveux, ainsi que les poils des moustaches et les sourcils. Quelques femmes descendaient aussi, l’air las, les traits tirés, les robes toutes fripées ; mais les plus âgées restaient patiemment dans la voiture, se contentant de s’y mouvoir plus à l’aise.
C’étaient alors des allées et des venues du café à la diligence et inversement. On parlait haut, on gesticulait beaucoup et avec impatience, car tous à la fois demandaient à boire. Le cafetier et sa femme se multipliaient, très complaisants, car cet arrêt des voitures qui, quatre fois par jour, faisaient la navette entre Montclapiers et les riches cantons de la plaine, donnait à ces limonadiers d’un si petit village le plus clair de leurs bénéfices.
Enfin, les chevaux attelés, on se tassait de nouveau dans les diligences qui dérapaient et, faisant sur leur passage trépider le sol et trembler les vitres, filaient là-bas vers la côte où elles disparaissaient.
Et jusqu’au lendemain matin, le village retombait dans sa morne
apathie.