Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/150

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val, mais plutôt une question de personnes, comme d’ailleurs en beaucoup d’endroits… Chacun se sert de mots différents, s’affuble d’un nom de républicain ou de conservateur. Voilà tout. C’est pourquoi aussi il y a plus d’aigreur, plus de passion dans toutes ces compétitions-là, fondées sur l’égoïsme, le besoin d’être le maître. Si vous vous découvrez trop, vous vous ferez des ennemis irréconciliables qui, s’ils sont un jour à la mairie, ne vous ménageront pas, mon pauvre enfant.

Ces derniers mots avaient été prononcés d’une voix émue et paternelle. Coste en fut touché. Le curé poursuivit :

— Tenez, il faut avoir vécu pour considérer ces choses avec le plus complet détachement. Hélas ! nos jeunes prêtres, je le sais, font comme vous en ce moment. Ils oublient leur mission toute de paix et d’amour. Aussi leur zèle intempérant ne sert qu’à les faire détester et, par contre-coup, qu’à envenimer la querelle, augmenter et éterniser les malentendus, pousser à la haine de notre sainte religion… Pour moi, je me dis que royauté ou république importe peu, que toujours il y aura des âmes à consoler, à apaiser et à soutenir et que personne ne m’empêchera de remplir mon saint ministère de douceur et de pardon.

Ce calme scepticisme politique, fait d’amour et de l’oubli total des petitesses humaines, frappa l’instituteur. Aussi, plein de respect pour le prêtre, il murmura :

— Oh ! vous, vous êtes un saint homme et tous ici vous vénèrent.

— Pas de flatterie, mon ami… Je ne suis qu’un pauvre homme comme vous… Allons, soyez prudent et au revoir.

Ils se quittèrent, le curé avec son bon sourire et la douceur inaltérable de ses yeux bleus, Coste saluant avec une respectueuse sympathie cet homme de bien, mais se disant :

« Non, je ne peux pas faire autrement. Le pain de mes enfants est en jeu et je dois n’avoir rien à me reprocher. »