Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mas ; il y a en ce moment un superbe passage de tourdes ; ils viennent se régaler des grappillons de ma vigne, de mes olives hâtivement mûres, et je vous les canarde !… J’en ai fait une douzaine et demie aujourd’hui… et gras, des boules de graisse !… Vous n’aurez guère de distractions ici, alors… Tenez, un bon conseil, prenez votre permis et nous chasserons ensemble : les perdrix rouges, les lièvres et les lapins foisonnent dans nos bois… Allons, vous vous déciderez…

— Mon permis ! — se dit Coste en regagnant la maison, — pas en tout cas avec les douze francs qui me restent.

Mais, loin de s’attrister, il sourit de sa réflexion.

VI

Pourtant, dès le lendemain, disparut son insouciance, lorsqu’il lui fallut affronter les fournisseurs, sans argent dans la main. Coste tenait à leur parler lui-même ; d’ailleurs, il ne pouvait guère songer à y envoyer sa femme, très abattue, ce matin-là. D’autre part, depuis sa grossesse, Louise, fatiguée, se désintéressait du ménage. Jean, très bon pour elle, la suppléait tant bien que mal et, dans ces derniers temps, il avait pris l’habitude d’aller lui-même, tous les jours, avant de partir pour sa classe, quérir certaines provisions au marché ou chez les fournisseurs.

Or, se présenter pour la première fois chez un marchand et lui demander crédit, lui sembla chose insolite et quelque peu honteuse. Il eut besoin de tout son courage pour s’y résoudre et ce ne fut pas sans hésitation que, poussé par la nécessité, il franchit le seuil des boutiques. Ce qu’il redoutait — et non sans raison — jusqu’à en avoir la chair de