Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/41

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poule, c’était de se voir mal jugé, de prime abord, par des gens qui envient trop le fonctionnaire pour ne pas saisir toute occasion de l’humilier. Le boutiquier de village et le paysan en blouse n’ont guère de considération pour l’homme en veston, pour le monsieur gêné qui va acheter les aliments de première nécessité, sans la pièce de cent sous au bout des doigts. C’est pourquoi ils ne se font pas faute d’en gloser, le cas échéant. Car ce qui se pratique couramment à la ville est, pour ces ruraux cupides et méfiants, un signe de déchéance. Le paysan, s’il a du bien au soleil et quelques écus dans son bas de laine, n’achète pas à crédit, méprise les miséreux et surtout les fonctionnaires pauvres.

Coste, qui était né et avait passé son enfance dans un village, savait tout cela. De là, la confusion qu’il éprouva chez le boucher, l’épicier, chez le marchand de bois même que, d’ordinaire, à la campagne, on paie argent sec. Porté à s’exagérer les choses, il souffrit en croyant remarquer la mine étonnée de ces petits commerçants, des regrattiers plutôt, qui, sans concurrents, allaient, chaque jour, de grand matin, sur leur char-à-bancs, acheter eux-mêmes, à Montclapiers, au comptant et au fur et à mesure de leurs besoins, les denrées qu’ils détaillaient ensuite aux paysans de Maleval.

«  Bien sûr, se disait Coste, ils ne s’attendaient pas à entendre le seul fonctionnaire de Maleval parler ainsi de crédit, dès sa première visite. »

Cette pensée le faisait paraître gauche, emprunté… « Je vous paierai à la fin du mois », ces mots lui semblaient durs à prononcer et raclaient son gosier comme les crins d’une brosse.

Dès en entrant, il s’empressait de décliner sa qualité d’instituteur ; sur-le-champ, le boutiquier devenait obséquieux et prévenant pour « monsieur le maître ». Mais dans le sourire aussitôt contraint des lèvres pincées, sur la figure épanouie du revendeur, se manifestait de la surprise et parfois même