Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/72

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ou des pois chiches… Ça n’a pas un sou vaillant et ça veut jouer à la dame… Pauvre Jean, s’est-il assez fichu dans le sac… Voilà, les enfants, ça ne respecte plus les parents, ça ne les écoute plus… Tant pis pour lui si, au lieu d’avoir une femme robuste, travailleuse, de l’argent dans son armoire et des vignes au soleil, il n’a que cette poupée-là et ses puces… Le bon Dieu le punit !…

Son aversion pour Louise, l’idée qu’elle seule avait poussé son fils à lui demander son argent et sa terre, la rendaient de jour en jour plus méfiante. Elle redoutait d’être volée, surtout par sa bru « capable, pensait-elle, de toutes les coquineries ». Louise faisait-elle quelques pas dans la cuisine, Caussette se levait aussitôt, se rapprochait de sa chambre et s’y enfermait, l’oreille aux écoutes, tressaillant au moindre craquement du parquet ou des meubles. Elle portait toujours les clefs de sa malle dans une poche dissimulée sous sa jupe, tâtant souvent d’un geste machinal si elles étaient là, avec la peur tenace de les égarer. La nuit, elle les plaçait, enveloppées dans des mouchoirs, sous son traversin, les enfouissait dans un coin de la paillasse, toujours la tête en travail pour imaginer des cachettes introuvables.

Il arrivait que Louise eût de bons jours et, pour soulager Jean, vaquât aux soins du ménage. Caussette s’effrayait alors des allées et venues de sa belle-fille dans la maison. Malgré le froid, elle se cantonnait dans sa chambre et obstinément refusait de la quitter. Dès que Louise s’asseyait, l’aveugle s’approchait du fourneau, présentait ses mains sèches et racornies à la flamme, dans un silence gros de haine réciproque, où l’on entendait en bas la voix monotone de Jean faisant sa classe ou celles des enfants ânonnant une lecture. Mais, avant que Louise se fût levée, Caussette s’empressait de regagner la chambre à tâtons, afin de veiller sur ses misérables écus. Et tandis que la jeune femme, agacée par de