Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/14

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Luce de Brix n’avait pas de plus grande joie que de venir cueillir des fleurs et récolter des fruits au Val. Elle se plaisait aux soins de la laiterie, et souvent son aïeul, le vieux baron Adam de Brix, se promenant, monté sur son grand cheval Soliman, qui l’avait porté dans vingt batailles, s’arrêtait le long des herbages du Val pour regarder sa blonde petite-fille s’amusant avec les agneaux et les génisses de Colette.

Luce avait perdu son père, tué à la bataille de Bouvines. Le second fils du baron de Brix, Robert, habitait toujours l’Écosse, où sa femme, lady Marjory, comtesse d’Annandale, possédait d’immenses domaines. Le mariage de Robert avec la noble Écossaise avait été désapprouvé par le baron Adam, et il ne recevait qu’à de rares intervalles les visites de son fils et de sa belle-fille. Ceux-ci avaient pourtant deux beaux garçons, vrais Brix pour la taille et les traits ; mais le baron Adam leur préférait de beaucoup l’unique enfant de son fils aîné, et il avait fait un testament qui assurait à Luce l’héritage du château de Brix et des nombreuses terres qui en dépendaient.

« Mes petits-fils auront assez de biens du chef de leur mère et de nos fiefs des comtés d’York et de Durham, disait-il. Quant à mon fils Robert, il préfère nos domaines anglais à ceux de Normandie. Je veux qu’il ne jouisse de ceux-ci que comme tuteur de sa nièce, si je meurs avant de l’avoir mariée. »

Adam de Brix avait alors quatre-vingt-dix ans. Sa taille presque gigantesque était restée droite ; ses longs cheveux d’un blanc de neige, moult bien pignés, comme on disait alors, retombaient à flots sur ses robustes épaules. Ses yeux étaient restés perçants et vifs comme ceux d’un jeune homme, et il marchait et montait à cheval pendant plusieurs heures tous les jours et en toute saison. Il avait été à la croisade avec Richard Cœur-de-Lion. Le plus grand plaisir du baron de Brix était de raconter les exploits et les aventures de ce roi-chevalier ; mais quant au successeur de Richard, le lâche et cruel Jean sans Terre, Adam de Brix n’avait jamais eu pour lui qu’un profond mépris, et c’était sans regret qu’il l’avait vu perdre la Normandie par sa faute