Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/63

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dans le château, où retentissaient un bruit d’armes, des gémissements, des ordres donnés à haute voix et quelques coups de marteau. Enfin le pont-levis s’abaissa, la porte de la cour s’ouvrit, et, à la lueur des torches, ils virent sortir du château six hommes d’armes portant sur un brancard recouvert d’un tapis le corps presque gigantesque d’Adam de Brix. Luce l’accompagnait, voilée et appuyée sur Marie. Les femmes de service et les vassales, menant ou portant leurs enfants, les suivaient tout en pleurs.

Hugo, debout sur le seuil, l’épée nue à la main, salua le mort au passage et surveilla le défilé du convoi. Un paysan s’était mêlé parmi les femmes.

« Restez ! lui dit-il ; les hommes qui sont ici n’en sortiront qu’après avoir aidé à démanteler le château. Malheur à qui résisterait ! Levez le pont !

– Écoutez-moi d’abord, Hugo de Ganneville, dit Luce en revenant sur ses pas et en écartant d’un geste impérieux les femmes qui l’entouraient. Vous avez agi comme un chevalier félon et déloyal. Je ne suis qu’une faible orpheline, je n’ai ici personne en état de me venger ; mais mon chevalier reviendra. Au nom de Guillaume du Hommet, je vous défie en champ clos à la lance et à l’épée, en présence du roi de France : que Dieu protège le bon droit ! voici mon gant. » Et de sa main frêle elle lança sur le pont ce gage de combat.

Un frémissement de pitié et d’admiration agita un instant la foule. Hugo grinça des dents.

« Vous avez bonne langue, Mademoiselle ! s’écria-t-il ; mais je ne relèverai pas ce gant. Votre champion est mort en Palestine, et je ne crains pas les revenants !

– Mort ! s’écria Luce, ô mon Dieu ! »

Elle tomba évanouie. Le pont s’était relevé, et les serviteurs de Luce l’emportèrent au presbytère, où elle passa la nuit, tandis que le corps du baron était veillé dans l’église par les religieux et Alain, et que les pauvres femmes de Brix pleuraient, dans leurs chaumières dépouillées auprès des enfants endormis sur la paille.