Aller au contenu

Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la pleine mer pour entrer dans le port ; il portait un écuyer envoyé par Guillaume, et qui alla prévenir le clergé de Barfleur. Lorsqu’à la marée haute la nef aborda, les moines de l’abbaye de Barfleur, dont le connétable avait été l’insigne bienfaiteur, vinrent processionnellement recevoir son cercueil à la descente du vaisseau, et l’emportèrent dans la crypte de leur église.

Dès que Guillaume eut remis ce dépôt sacré aux bons religieux, il donna ses ordres à ses gens, et leur dit qu’il les précéderait d’un jour à la Luthumière. L’abbé lui prêta deux chevaux, car ceux du croisé avaient beaucoup souffert de la traversée, et Guillaume du Hommet, suivi de son écuyer, prit le chemin de son château.

Revoir son pays après une absence de plus d’une année, le revoir dans cette belle saison d’automne où la Normandie est encore, s’il se peut, plus belle qu’au printemps, penser qu’il allait retrouver sa jeune fiancée, sa bonne mère, tout cela aurait réjoui le jeune chevalier s’il eût pu oublier la mort de son père. Mais cette pensée, celle du deuil de sa mère, serraient douloureusement son cœur, et il se disait : « Si au moins j’avais vu Jérusalem libre, si j’avais fait toucher au saint sépulcre mon épée victorieuse, je me consolerais. Mais Sion est encore captive et désolée, le sang chrétien a coulé en vain, et les efforts des princes restés en Orient ne servent à rien. »

Guillaume se trompait. Les croisades les plus désastreuses pour les chrétiens n’en avaient pas moins été une digue puissante opposée au flot musulman qui menaçait de couvrir l’Europe, et, si l’islam et le schisme règnent encore sur Jérusalem, du sein des tombes où dorment les croisés d’autrefois ont germé les ordres religieux, les sanctuaires nouveaux qui gardent en Orient l’honneur du nom chrétien et le souvenir de la noble France.

Après avoir chevauché quatre heures sans rencontrer personne qu’il connût, Guillaume arriva sur ses terres, et un paysan qui labourait l’aperçut et s’écria :

« Seigneur Jésus ! c’est messire Guillaume ! »

Et, quittant sa charrue, il vint baiser la main de son jeune maître.