Page:Lavignac - Le Voyage artistique à Bayreuth, éd7.djvu/118

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tout en étant pour le compositeur un canevas indispensable comme point de départ, devient secondaire, et qu’à l’exécution l’intérêt du spectateur s’attache presque uniquement à la musique. Ce n’est donc pas là la fusion intime rêvée, puisque le drame est absorbé par la partie purement musicale, et que le librettiste lui-même est astreint à scinder son œuvre littéraire selon des formes de convention, pour les seuls besoins de la musique. Dans d’autres circonstances, au contraire, on sent que l’intervention de celle-ci est comme superflue, qu’elle n’ajoute rien à l’action, dont le caractère prosaïque et terre à terre se passerait même volontiers de la forme versifiée.

Serait-ce que tous les genres de sujets ne conviendraient pas à la musique et au mode d’expression qui lui est particulier ?

C’est ici qu’entre le musicien et le poète intervient le philosophe, et voici comment il résout cette question :

« Tout ce qui, dans un sujet de drame, s’adresse à la raison seule, ne peut s’exprimer que par la parole ; mais, à mesure que le contenu émotionnel grandit, le besoin d’un autre mode d’expression se fait sentir de plus en plus, et il arrive un moment où le langage de la musique est le seul adéquat à ce qu’il s’agit d’exprimer. Ceci décide péremptoirement du genre de sujets accessibles au poète-musicien, ce sont les sujets d’un ordre purement humain[1] et débarrassés de toute convention, de tout élément n’ayant de signification que comme forme historique. » (Richard Wagner, 1858.)

  1. « Ce que Wagner appelle « le fond purement humain » est ce qui constitue l’essence même de l’humanité ; ce qui plane au-dessus des différences superficielles de temps, de lieu, de climat, au-dessus des conditions historiques ou autres, en un met tout ce qui procède directement de la source divine. » (H.-S. Chamberlain, le Drame wagnérien.)