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LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE

Or, voici dans quelles circonstances l’événement se produisit :

On était donc à Bordeaux. À l’issue du concert de la Société Philharmonique, le Président avait organisé un souper monstre, auquel étaient conviés, en plus des artistes, le Préfet, le Maire, le Général, le Président de la Cour, toutes les autorités, et Elwart. Celui-ci en était à son dixième banquet depuis six jours, sans compter de nombreux punchs et autres obligations du même genre, auxquelles il croyait de son devoir de ne pas se soustraire, et, comme il ne portait pas la toile d’une façon extraordinaire, il commençait à être… légèrement fatigué.

Il avait pourtant préparé un long discours, ressemblant étonnamment aux précédents, qu’il comptait bien débiter quand arriverait l’heure des speaches, au moment du champagne, de l’enfièvrement et de l’enthousiasme final.

Un incident imprévu, aussi désastreux qu’invraisemblable, se produisit : dès le deuxième service, le maire, M. Brochon, l’un des convives les plus importants, dut quitter la table du festin, appelé subitement par un sinistre quelconque, un incendie, peut-être, en quelque point éloigné de la ville.

Aussitôt les voisins d’Elwart s’empressent tumultueusement autour de lui :

— « Vous ne pouvez pas laisser partir M. le maire sans lui dire un mot !…

— Voyons, mon bon Elwart, où est votre éloquence, réveillez-vous !… vite un toast au maire ! il s’en va…

— Il n’y a pas une minute à perdre, il va partir,… il se lève, trouvez quelques mots émus, dépêchez-vous.

— Mais vite, vite, vite…

— Tenez, le voilà qui part… »

Alors, électrisé, Elwart se lève, et tenant son verre en main, faisant appel à toute la présence d’esprit que lui laissaient ces