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LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE


Cette histoire a souvent été racontée autrement, et dénaturée ; mais telle que je vous la donne, elle est authentique ; je la tiens de Bordelais de ce temps, mes compatriotes, gens dignes de toute confiance, et aussi un peu d’Elwart lui-même, qui était, au fond, un homme d’esprit, et s’était bien rendu compte, par la réflexion, qu’il avait dû commettre là quelque chose comme ce qu’on appelle « un impair ».

Il ne craignait pas de le raconter, et était même le premier à en rire, tout en se tenant prêt à recommencer, très sérieusement, à la première occasion.

C’était le roi des hurluberlus, ce bon Elwart, en même temps qu’un excellent homme, car tous ses élèves ont conservé de lui le meilleur souvenir.

Un jour, il faisait partie d’une commission qui avait à classer, d’après des travaux écrits, de nombreux concurrents en trois catégories :

1o Les bons, c’est-à-dire admis, reçus ;
2o Les douteux, réservés pour être revus en cas de besoin ;
3o Les mauvais, refusés sans appel.

Il s’était donc dit, judicieusement, qu’il n’avait qu’à mettre sur sa feuille, en regard de chaque nom, une de ces trois mentions : reçu, réservé, refusé ; et, pour abréger, il les représentait chacune par leur initiale. Si bien qu’à la fin du concours, il se trouvait avoir mis un R à chacun des concurrents.

Cela voulait-il dire Refusé, Réservé ou Reçu, il était incapable de s’en souvenir lui-même. Diable ! que faire ?

Un instant, il fut question de recommencer la lecture de tous les manuscrits, ce qui avait déjà pris trois journées pleines, et n’était pas du goût de tout le monde ; mais Elwart, avant tout brave homme et d’humeur accommodante, déclara qu’il s’en rapportait, pour l’interprétation de ses innombrables R…, à l’avis de ses collègues.