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LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE



C’était sous le deuxième Empire.

Un de mes jeunes camarades de classe, Éleuthère Kalb, originaire de la Creuse, je crois, avait été envoyé à Paris par sa famille, avec une très modique pension, pour y faire ses études musicales.

Son père, organiste de la cathédrale, professeur dans tous les collèges et couvents de sa petite ville, n’avait d’autre ambition que de lui voir entreprendre une carrière provinciale analogue à la sienne, très honorable assurément, mais terne et sans prestige.

Éleuthère, lui, avait de plus hautes visées ; il avait goûté de la vie de Paris, il avait été au théâtre, assisté à des concerts, fréquenté le monde, et cet horizon restreint lui faisait faire la grimace. De plus il avait obtenu, l’année précédente, le deuxième prix de piano, et concourait cette année en vue du premier.

Voilà que le jour du concours, au moment même où il arrivait sur la scène pour jouer son morceau, il aperçoit au premier rang, juste sous son regard, la figure déjà triomphante du père Kalb, qui avait trouvé l’occasion bonne à la fois pour venir voir Paris, qu’il ne connaissait pas, pour jouir du succès de son fils,… et surtout pour le ramener dare-dare dans la Creuse, remplir les fonctions précitées selon son rêve. Il avait fait queue, le malheureux, depuis le matin pour être bien placé, au premier rang et juste au milieu, pensant faire une surprise agréable à son fils, et sans songer qu’il y avait là de quoi lui faire perdre absolument ses facultés, par ce saisissement