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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

tri, il dut constater que Pacca et les siens avaient transporté leurs pénates ailleurs, probablement à ce village d’Oulouksigne, qu’il ne savait où placer, les cartes ne mentionnant pas les noms indigènes des différentes localités.

« Une prémonition intime, impersonnelle, m’avait laissé sous l’impression que je reverrais cette petite sauvagesse », murmura-t-il en allant à tribord. Là il voulut de nouveau revoir les caps de l’île Devon où il avait joui en égoïste de sa grande amie : la solitude.

Au dessus des monts, plusieurs gros nuages réniformes, gris-blancs et lilas voguaient lentement vers l’est.

Quelle splendeur ! s’écria-t-il. Qui donc a bâti cette chaîne de châteaux, de castels, de rotondes, etc., ayant fenêtres, galeries, meurtrières, tours crénelées et galeries, dont la toiture découpe l’horizon ?

« Faites-vous votre prière Monsieur ? » lui demanda, narquois, un matelot.

Il n’eut pas le temps de répondre. Le bateau filant 10 nœuds à l’heure n’avait pu éviter à temps un champ de glace à la dérive. Le choc fut raide, et l’on put entendre sur tout le navire des grognements et des expressions qui n’étaient certainement pas des invocations pieuses. Contusionné, chacun se relevait et se secouait, un rire joyeux succédant à la surprise momentanée causée par un arrêt aussi brusque.

Le bateau gagnait lentement l’ouest, le capitaine Bertrand, tel qu’il l’avait décidé, voulant encore une fois essayer de franchir le fameux passage du nord-ouest.

Pour la description de cette partie du voyage aussi bien reproduire le journal de notre explorateur. Consciencieux, il notait au jour le jour les faits les plus intéressants :

15 août 1910. Un champ de glaces nous barre la route. Nous sommes à soixante milles de la baie Erebus, enveloppés dans un épais brouillard. Quelques ours polaires passent à portée de nos fusils dont deux sont tués et hissés à bord.

16 août. Partout, de tous côtés, les glaces nous enserrent. Rien ne rompt la monotonie d’un arrêt forcé. Les glaces, la pluie et les brouillards nous tiennent à leur merci.

17 août. Une éclaircie s’est produite. Les glaces en mouvement se sont disloquées, nous laissant un passage assez facile par le sud. Il a plu toute la journée.

18 août. À six heures de l’après-midi, le Neptune mouillait dans la baie Erebus, à l’extrémité sud-ouest de l’île Devon. Sir John Franklin, le grand explorateur arctique, hiverna en cet endroit en 1845-46. Quoique le gouvernement anglais eût dépensé une somme de dix millions de livres en recherches et expéditions, la preuve de la perte de ses deux vaisseaux et la mort des membres de l’équipage ne fut contrôlée que douze ans plus tard par McClintock.

Les équipages en quittant l’Angleterre s’élevaient à cent trente-quatre personnes, dont cinq furent rapatriées du Groenland. On ignora pendant longtemps ce qu’il était advenu de l’expédition. En plus des expéditions officielles, il en partit d’autres dues à l’initiative particulière. L’Amérique se joignit à l’Angleterre et envoya un certain nombre de vaisseaux pour faire des recherches. La France envoya deux braves officiers, dont l’un, le lieutenant Bellot périt au cours des recherches.

Les vaisseaux de Sir John Franklin ont dû être engloutis par les glaces au large de l’île Cornwallis, où l’on a trouvé des traces de leur séjour, tel qu’emplacement d’ateliers, forge et observatoire. Après la perte des deux bâtiments, l’Erebus et le Terror, les survivants partirent des vaisseaux en tirant de lourdes chaloupes sur des traîneaux. McClintock a retrouvé une de ces chaloupes avec deux cadavres dedans sur la rive ouest de l’île « King William ».

La baie Erebus est d’un aspect enchanteur. L’entrée en est surtout grandiose, protégée de chaque côté par deux immenses forteresses naturelles de mille à mille cinq cents pièces d’altitude, de formation calcaire, travaillées et sculptées par l’effet des vagues et des vents.

Débarqué à sept heures ce soir, j’y ai installé ma tente près des ruines de la Northumberland House, longue construction basse en pierres sèches, et du monument élevé à la mémoire de Sir John Franklin et du lieutenant Bellot. Une série d’observations magnétiques a été prise avec le magnétomètre.

28 août. Depuis le 19, le bateau est constamment retardé par les champs de glaces. Ce soir il n’était encore que vis-à-vis l’île Griffith. Le compagnon de Pyré, Sport, est mort ce matin, et il a eu les honneurs d’une sépulture marine. « Sport » était très jeune. Il s’était embarqué à Québec à l’âge de dix jours. Il était le compagnon inséparable de son gros ami, s’amusant à s’esquiver et à lui passer entre les jambes, ce qui laissait l’autre toujours surpris de tant d’agilité et de har-