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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

demeurer dans ces parages d’après les indications qu’elle m’a données. Quelle aubaine ! Je vais pouvoir recueillir des données ethnographiques et des légendes de ce très ancien peuple, certainement d’origine Asiatique. »

« Quel est bien le nom indigène de l’endroit où elle m’a dit demeurer ! Il a une terminaison en signe… la première appellation m’échappe… J’aurais dû l’inscrire. Peut-être bien le capitaine pourrait-il me renseigner. »

Il s’en fut le trouver, sans mettre plus longtemps ses méninges à la torture.

« Mon capitaine, dit-il, vous ne pourriez pas par hasard me donner le nom indigène par lequel les Esquimaux désigne « Arctic Bay » ? »

« Mais si… Oulouksigne. »

« Oulouksigne ! Oulouksigne ! c’est bien ça ! » s’exclama-t-il, la surprise l’ayant fait se départir de son calme habituel.

Très surpris, de l’intensité avec laquelle il avait répété ce mot, le capitaine leva les yeux et fut encore plus surpris d’y voir la joie qui illuminait ses traits.

« Franchement mon ami, vous m’avez l’air tout drôle. Ce nom barbare évoque donc de bien beaux souvenirs chez vous ? Pourtant c’est la première fois que vous visitez ces lieux, hier encore totalement inconnus de vous. »

« C’est que, mon capitaine, vous voyez, il y a des Esquimaux aux alentours et je vais pouvoir les étudier, colliger des notes, faire œuvre de savant. »

« Comment savez-vous qu’il y a des Esquimaux dans ces parages ? Lors de mon dernier voyage il y a deux ans, le dernier poste esquimau habité était à Tunungmiout autrement dit : Ponds Inlet. »

Le capitaine ignorait naturellement que depuis son dernier voyage en ces régions, un groupe avait quitté le détroit Ponds pour s’établir à la baie « Arctic ». Quant à Théodore, lui aussi ignorait ces détails, ne sachant pas qu’Oulouksigne était de fondation toute récente.

Il craignit un moment que son court roman fût découvert, mais la réponse du capitaine le rassura.

« Il se peut fort bien, lui dit-il, qu’il y ait des Esquimaux dans les environs, car il se fait quelquefois des migrations lorsqu’il y a diminution de chasse ou de pêche en certaine localité. »

De fait, ce même après-midi, un Esquimau en kayak se rendait au bateau. On l’invita à bord, invitation qu’il accepta avec plaisir. Par signes il fit comprendre que quelques membres de la nation demeuraient sur le versant sud de la pointe ouest, formant l’entrée de la baie. La couleur sombre de leurs toupies se mariant avec les rochers environnants, ils n’avaient pas été remarqués par l’équipage, car il faisait nuit lorsque le bateau entra dans son havre d’hivernement.

L’hiver se faisait déjà sentir. Depuis la fin juillet, la température baissait graduellement, la grisaille de l’automne amenant brouillards, grésil, et pluies. Le jour diminuait très rapidement. La lumière changeait de tonalité. Elle était blafarde et comme filtrée à travers une gaze, quoique les aurores et les couchants émissent une variété de tons chauds des plus brillants.

Il y avait beaucoup à faire pour préparer le bateau à son long sommeil dans les glaces. Des provisions de toutes sortes, toutes les chaloupes, les habits de surplus, etc., furent débarqués et mis en sûreté sur le rivage. La voilure fut aussi descendue des mâts et emmagasinée dans les écoutes.

Pendant ce temps Théodore ne perdait pas son temps. Il était joyeux et heureux. Sur la rive, il s’était fait construire un abri temporaire devant lui servir d’observatoire, où il avait transporté ses instruments magnétiques. Ses thermomètres et baromètres, sa jauge automatique pour les marées, tout était en place. Sous prétexte d’explorations, il faisait aussi de longues marches, escaladant des montagnes de deux mille pieds d’altitude, pour les dégringoler sur le versant du golfe Admiralty, au pied desquelles se blottissait frileusement le campement esquimau.

Il avait découvert le refuge de Pacca. Furtivement, il s’y rendait et il se complaisait dans la vie toute primitive de son père et de sa grand’mère. Il ne parlait à personne de ces expéditions sentimentales, voulant éviter les sourires narquois et les allusions gaillardes de ses compagnons. Sa nature franche et supra-sensible en eût souffert.

Avec la venue du froid et des neiges les habitations esquimaudes évoluèrent. Les toupies ou tentes de peaux de loups-marins, devenaient très froides. Ils furent remplacés par les « iglous », cabanes semi-circulaires faites de blocs de neige superposés en spirale. Celles-ci furent alors tapissées à l’intérieur avec les peaux du toupie, laissant une couche d’air intermédiaire entre les deux, empêchant ainsi la fonte des blocs de neige.