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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

reviennent. C’est l’irrésistible appel de la race. »

« Vous pourriez me demander, vu la quasi-impossibilité de détruire ces carnassiers, comment il se fait qu’ils ne se multiplient pas plus vite et ne détruisent pas tout le gibier de la région ? »

« Je vous répondrais alors : leur appétit vorace et sanguinaire nous protège de cette calamité. Au printemps, lorsque la louve doit mettre bas, elle cherche à se cacher et à s’éloigner du mâle. Ce dernier la surveille et dès que les louveteaux ont vu le jour il les dévore. Sous ce rapport nos chiens ont la même habitude, et dès la mise-bas, si nous voulons augmenter notre troupeau, il nous faut isoler les chiennes et les enfermer deux semaines dans un iglou, alors que tout danger est disparu. »


CHAPITRE XIII

LES ESQUIMAUX suite


Rien n’est plus difficile à des hommes que de bien voir des hommes… Nous connaissons des objets, des choses, des faits ; nous ne connaissons jamais nos semblables. — La Pensée.

Edouard Rod.


Tous les jours Théodore se rendait à son observatoire. Les observations magnétiques l’intéressaient plus que tout autre travail. Il lui arrivait quelquefois de manquer quelques jours de suite ses visites à la case de Nassau. Il vivait alors dans une expectative anxieuse, car, lorsque ses absences se prolongeaient, Pacca, avec sa franchise et sa liberté natives se rendait à son observatoire. Elle s’installait sur un bloc de glace formant siège, tranquille, ne disant mot, mais suivant d’un œil intéressé tous ses mouvements, ajustant niveaux et compas, lisant les vernieres et inscrivant ses lectures sur un calepin. Son âme ardente et fière perçait dans le noir de ses yeux. À la dérobée, il lui jetait un coup d’œil et tout son être en recevait un choc. Maintes fois il dut recommencer un travail exigeant toute l’attention possible. Il ne s’en plaignait pas, car la présence de Pacca était pour lui un rayon de soleil dans la nuit arctique. Dans la demi-obscurité du jour, sa silhouette se détachait nettement sur les blocs de glace formant les murs de sa hutte, et il la comparait à un camée serti sur une porcelaine lactescente. Sa venue était un reproche muet à sa négligence. Sentant l’emprise que cette jeune fille prenait sur lui, qu’il n’était plus le maître de son cœur, il voulait réagir, mais sans succès. Il désirait posséder cet être dont l’apparition première l’avait bouleversé. Il se débattait dans un cercle vicieux. Il ne pouvait songer à habiter toujours ce pays et encore moins à éloigner cette jeune fille de son milieu en la ramenant avec lui à Québec. Pourtant, il la voulait sienne. Des tentations de civilisé l’assaillirent, mais il les repoussa, comme indignes de lui et de celle qui, rencontrée sous un autre ciel, fût devenue sa femme. Il ne voulait pas non plus que la confiance enfantine qu’elle reposait en lui fût abolie. Son âme jouissait de ces tiraillements contraires, mais bientôt la sérénité illuminait son front. Son travail terminé, il la reconduisait chez son père, s’entretenant doucement avec elle. Elle voulait surtout connaître la vie, les habitudes et les amusements des femmes blanches. De la civilisation, il ne lui montrait que le beau côté ne voulant pas souiller son intelligence d’un exposé des vices des Blancs.

Après chacune de ces absences, les visites recommençaient et les conversations ayant trait aux pays du Nord reprenaient. Un jour, il s’en fut avec Nassau, visiter ses trappes à renard. Ayant traversé la baie « Arctic », ils suivirent une étroite vallée, les conduisant cinq milles à l’intérieur où ils débouchèrent sur une plaine recouverte de six pouces de neige durcie. Quelques caribous hivernaient dans l’intérieur, car l’on constata que de leurs pieds d’avant ils avaient gratté la neige pour se nourrir des lichens qu’elle recouvrait. Pacca avait désiré les accompagner, mais son père lui avait dit : « Inutile, mon enfant, nous ne serons absents que la journée. Si nous partions pour trois ou quatre jours tu viendrais sûrement pour t’occuper de la lampe et veiller à l’entretien de nos habits. »

Théodore n’osa insister, quoique Pacca lui eût lancé un long regard de regrets de ne pouvoir se joindre à eux. Il vit au cours de cette randonnée l’habilité avec laquelle ces pièges dont Nassau lui avait fait la description, étaient construits. Ils n’avaient pas été visités depuis une semaine et l’on y releva quatre renards blancs, dont trois étaient morts de froid dû à leur inaction forcée. De retour à l’iglou le soir, l’on continua la conversation sur la vie des Esquimaux : « Vous avez été témoin, l’automne dernier lui dit Nassau, de notre abandon du toupie pour l’iglou. Ce printemps, vous verrez le