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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

vait tant surpris deux jours auparavant, chez son amie. Il se rappela alors l’apparence qu’avaient les plantes conservées l’hiver dans les caves. L’absence du soleil avait le même effet sur elles que sur les humains. Encore une constatation physiologique à laquelle je n’aurais jamais songé, pensa-t-il.

Passé le treize février, les jours allongèrent et le soleil brillait quelques heures dans un ciel bleu, limpide et sans nuages. La nuit, quelques aurores boréales s’allumaient au firmament, le rayant de lances lumineuses. La position des explorateurs était tellement au nord du pôle magnétique que ces déploiements n’étaient pas aussi grandioses que ceux qui se développent dans la Baie d’Hudson.

Chaque jour, un incident nouveau et imprévu rompait la monotonie des longs jours d’hiver. Vers la fin du mois, Théodore s’en allait vers son observatoire. Près de la grève, dont il était encore assez éloigné, il voyait son chien gambader, sauter, fou de joie, ivre de mouvements. Une boule noire s’élevait de la glace et y retombait. S’étant approché, il constata avec surprise que le compagnon de Pyré était un corbeau arctique. Poussé par la faim, ce dernier essayait de voler un morceau de chair de phoque que l’animal avait eu pour son déjeuner. Ils se pourchassaient sur la glace, la proie changeait de propriétaire et tous deux semblaient prendre plaisir à ce sport nouveau. Pyré eut enfin compassion de son compagnon empenné et le laissa s’envoler avec le morceau tant convoité.

Les derniers jours de février furent très froids, ce qui n’empêchait pas Théodore de se rendre à l’iglou de Nassau, de trois à quatre fois la semaine. La vue et la présence de Pacca étaient devenues un besoin. Plus que jamais il se sentait attiré vers elle et son amour croissait, l’enveloppait tout entier.

Le 28 février au soir, le mardi-gras fut fêté. Les Esquimaux et leurs familles furent invités. La mascarade les amusa beaucoup. Avec mars arrivèrent les préparatifs des expéditions lointaines. Théodore s’y préparait avec hâte. Sur son journal, le premier du mois, il inscrivait ces quelques lignes :

Dans trente jours je serai à quelques trois cents milles du bateau, seul avec mes Esquimaux et mes chiens, vivant dans des cabanes de neige, faisant des relevés de côtes inexplorées. J’ai hâte que ce temps arrive. Ce changement, cette activité me feront du bien. Mon horizon s’élargira, mes sens caressés par la froide bise se dilateront, le temps s’écoulera plus vite dans un changement de décors au sein des sauvages beautés des Régions arctiques.

Le 15 mars au matin, les préparatifs étant terminés, la caravane s’ébranla.


CHAPITRE XVI

À L’OMBRE D’UN GLACIER


C’est pourquoi il est dit : l’homme quittera son père, sa mère, et il s’attachera à sa femme.

S. Marc. Chap. x. v.


Le 15 mars au matin, Théodore fit ses adieux aux membres de l’équipage du Neptune, reprenant ses explorations de l’automne précédent. Il avait choisi pour l’accompagner dans cette expédition le sorcier du village, Koudnou, dont la réputation de chasseur n’était plus à faire, et Pioumictou. Leurs femmes les accompagnaient afin de s’éviter les ennuis du dernier voyage. Deux cométiques, attelés respectivement l’un de dix chiens, l’autre de huit, devaient tirer les effets requis et le personnel de l’expédition. Théodore changea son itinéraire. Au lieu de gagner le sud par le golfe Admiralty, il se décida à traverser les hauts plateaux de la péninsule Brodeur pour gagner le détroit du Prince Régent, d’où il ferait ses relevés côtiers et topographiques…

Passant par le petit village d’Oulouksigne, il fut enchanté d’apprendre que dix familles esquimaudes, s’en allant chasser l’ours blanc dans le nord de Prince Régent, s’étaient décidées à l’accompagner par voie de terre, au lieu de contourner le nord de la péninsule. Il fut au comble du bonheur, bonheur intime et égoïste lorsque Pacca vint lui dire qu’elle et son père, s’étaient joints à la caravane. Jamais départ ne se fit sous de meilleurs auspices. Les souhaits, les cris de joie, les au revoir s’échangeaient amicalement entre toutes ces bonnes gens que la perspective d’une chasse fructueuse rendait gaies. Un beau soleil froid éclairait cette scène dans un pays uniformément blanc.

Le trajet de la baie Arctic à la pointe Bowen sur le détroit Prince Régent prit douze jours. La caravane traversa d’abord le golfe Admiralty et se dirigea alors vers le sud à la recherche d’un ravin, permettant l’ascension des monts perpendiculaires, d’u-