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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

gue, son adaptabilité à se plier à leurs coutumes, ils l’avaient en grand estime.

Comment peindre la joie de Pacca ? Lors du retour du bateau, elle s’était dit : « Il n’est pas mort ! Il reviendra ! » Elle vécut dans l’attente tout le premier jour. Ne le voyant pas arriver le deuxième jour, elle perdait de cette belle confiance, et le désespoir naissait en elle. Au moment où elle entendit les habitants du village, crier de toute la force de leurs poumons : « Chaimo Nukaglium », elle sentit le sol se dérober sous elle.

Comme il mettait pied à terre, elle se jeta dans ses bras pleurant de joie. À ce moment un bruant de Laponie, l’unique chantre ailé du Nord, décrivait de savantes spires dans l’azur. Planant au-dessus du groupe entrelacé, il fit entendre un sublime chant d’amour, ses notes s’éparpillant en un mélodieux trille.

« Mon aimé, lui dit Pacca, entends-tu ce chant ? C’est l’oiseau du bonheur, le messager des amoureux nous annonçant joie et félicité. »


CHAPITRE XX

ÉPREUVES


Mon rêve a ployé l’aile. En l’ombre qui s’étend,
Il est comme un oiseau que le lacet captive.
.........................
Je dis l’adieu suprême à tout ce qui m’entend.

Pamphile Lemay.


Deux ans se sont écoulés. Les peuples heureux n’ont pas d’histoire, les hommes heureux non plus.

Nukaglium et Pacca sont de ce nombre. Leur union a été bénie : un fils sain et vigoureux les unit d’un amour toujours tendre.

Théodore n’a pas oublié ses vieux parents, si loin, en ce hameau perdu de la Gaspésie. Son cœur saigne quelquefois à la pensée qu’ils ont, que leur fils, leur joie et leur orgueil, soit mort. Maintenant que la paternité a affiné ses sentiments, auréolé son front, il comprend toute la profondeur que renferme les cœurs des parents pour ceux auxquels ils ont donné le jour.

Il s’étonne avec raison que le gouvernement canadien n’ait pas envoyé une autre expédition dans ces territoires. Il ignorait, qu’il y eût eu des élections en octobre 1911 et que le gouvernement Laurier avait subi une défaite. La faction qui avait pris le pouvoir, changeant son fusil d’épaule, avait envoyé aussi un parti d’explorateurs dans les régions boréales, mais au nord de l’Alaska.

Au printemps de 1913, il dit à Pacca :

« Ne penses-tu pas que je devrais envoyer de nos nouvelles à mes parents ? Ils seraient si heureux d’apprendre que je suis encore vivant, bien portant, possesseur de la plus gentille des petites femmes, et papa d’un joli garçon ? »

« Vont-ils m’aimer tes parents ? lui demanda-t-elle. »

« N’en doute pas. Je vais leur écrire tout un volume sur toi. »

« Comment le leur feras-tu parvenir ? »

« Cela est assez facile. Tous les étés, deux ou trois baleiniers écossais font escale à Ponds Inlet en août. Nous allons nous y rendre et je remettrai ma lettre au capitaine d’un de ces bateaux. De retour à Glasgow, il l’expédiera par la poste. »

« Qu’est-ce que la poste ? » demanda-t-elle.

Pour satisfaire sa soif d’apprendre, il dut lui donner une explication du service postal en pays civilisés.

« J’ai saisi tout le rouage de ce transport des matières postales. Mais comment vas-tu en payer les frais ? »

« Ne crains rien sous ce rapport. Pour dédommager le capitaine qui se chargera de ma correspondance, je lui donnerai une peau de renard blanc. Il sera récompensé au centuple. Nous allons maintenant entretenir ton père de ce projet. Je lui emprunterai deux chiens, qui, ajoutés aux quatre nôtres, nous permettront de voyager très confortablement. Nous sommes en mai. Nous ne souffrirons pas du froid. Pour éviter les flaques d’eau qui se montrent dans les dépressions de la banquise, nous voyagerons de nuit, à petites étapes. Nous serons à Ponds Inlet vers la fin de juin. Cela te va-t-il, ma femme ? »

Le « j’en suis heureuse pour toi » qu’elle lui répondit, manquait d’enthousiasme. Il s’en aperçut et lui dit :

« Ce voyage ne te sourit-il pas ? Tes yeux se voilent de larmes. »

« Je ne puis retenir une certaine douleur. Est-ce un pressentiment ? Je devrais être heureuse et gaie d’entreprendre cette course avec toi et notre fils. J’ai tort d’avoir prêté l’oreille aux divagations de Koudnou. »

« Que veux-tu dire ? Tu te moques bien des incantations de ce sorcier, et tu es la première à rire de ses rites et de sa jonglerie primitive. »