Page:Lazare - Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844.djvu/329

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» Nos femmes, dont l’âme est si sensible, le genre nerveux si délicat, qui s’évanouissent devant une araignée, ont assisté à l’exécution de Damiens, etc… Des lunettes d’approche entre leurs mains amenaient, sous leurs regards, les bourreaux et les angoisses du supplicié. Leurs yeux ne se détournèrent pas de cet amas de tourments recherchés ; la pitié et la commisération s’étaient envolées de la place où le criminel expiait son forfait par le plus long et le plus cruel des supplices. Il fut tel que la postérité frémira ! »

Nous rapportons les détails de cette exécution :

Le supplice commença vers 5 heures. La main droite du patient qui tenait un couteau, fut brûlée lentement ; les atteintes de la flamme lui arrachèrent un cri horrible. Dans cet instant le greffier s’approcha du condamné, et le somma de nouveau de désigner ses complices ; il protesta qu’il n’en avait pas : « Au même instant le dit condamné a été tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, et sur les dits endroits a été jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante de la poix brûlante, de la cire et du soufre fondus ensemble, pendant lequel supplice le condamné s’est écrié à plusieurs fois : Mon Dieu, la force, la force !… Seigneur mon Dieu, ayez pitié de moi !… Seigneur mon Dieu, que je souffre !… Seigneur mon Dieu, donnez moi la patience !… À chaque tenaillement, on l’entendait crier douloureusement ; mais de même qu’il avait fait lorsque sa main avait été brûlée, il regarda chaque plaie, et ses cris cessaient aussitôt que le tenaillement était fini. Enfin on procéda aux ligatures des bras, des jambes et des cuisses pour opérer l’écartèlement. Cette préparation fut très longue et très douloureuse. Les cordes étroitement liées, portant sur les plaies si récentes, cela arracha de nouveaux cris au patient, mais ne l’empêcha pas de se considérer avec une curiosité singulière. Les chevaux ayant été attachés, les tirades furent réitérées longtemps avec des cris affreux de la part du supplicié. L’extension des membres fut incroyable ; mais rien n’annonçait le démembrement. Malgré les efforts des chevaux qui étaient jeunes, peut-être trop, cette dernière partie du supplice durait depuis plus d’une heure sans qu’on pût en prévoir la fin. Les médecins et chirurgiens attestèrent aux commissaires, qu’il était presqu’impossible d’opérer le démembrement, si l’on ne facilitait l’action des chevaux, en coupant les nerfs principaux qui pouvaient bien s’allonger prodigieusement, mais non pas être séparés sans une amputation. Sur ce témoignage, les commissaires firent donner ordre à l’exécuteur de faire cette amputation, d’autant plus que la nuit approchait et qu’il leur parut convenable que le supplice fut terminé auparavant. En conséquence de cet ordre, aux jointures des bras et des cuisses, on coupa les nerfs au patient, on fit alors tirer les chevaux. Après plusieurs secousses, on vit se détacher une cuisse et un bras. Le supplicié regarda encore cette douloureuse séparation ; il parut conserver la connaissance après les deux cuisses et un bras séparés du tronc, et ce ne fut qu’au dernier bras qu’il expira ! » — Les membres et le corps furent brûlés sur un bûcher. — Cet épouvantable supplice de Damiens eut lieu sur la place de Grève, le 28 mars 1757. — Le soir, les courtisans racontaient avec complaisance dans les salons de Versailles, tous les détails de cette longue torture. Une jeune duchesse se fit remarquer par la grâce et la vérité avec laquelle elle retraçait les moindres phases de l’agonie de Damiens.

Le 19 février 1789, la foule accourait de nouveau sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Cette fois elle était encore plus avide, plus joyeuse qu’au supplice de Damiens, on allait pendre un marquis !

Le condamné descendit du Châtelet et s’avança entre deux haies de soldats. Sa démarche et son maintien témoignaient de la distinction de son rang ; il paraissait âgé de quarante-cinq ans. C’était Thomas Mahi, marquis de Favras, que la chambre du conseil du Châtelet de Paris avait condamné à être amené et conduit dans un tombereau, après amende honorable, à la place de Grève pour y être pendu et étranglé.

Le matin, après la lecture de l’arrêt, le marquis de Favras avait remis lui-même au greffier sa croix de Saint-Louis. La foule, en apercevant le condamné, battit des mains ; ces applaudissements devinrent plus frénétiques lorsque le marquis vint faire amende honorable sur le Parvis-Notre-Dame. Cette joie du peuple ne sembla ni l’affliger ni l’irriter. Le greffier lut alors la sentence. Favras était convaincu : « D’avoir tenté de mettre à exécution un projet de contre-révolution, qui devait avoir lieu en rassemblant les mécontents des différentes provinces, en donnant entrée dans le royaume à des troupes étrangères, en gagnant une partie des ci-devant gardes-françaises, en mettant la division dans la garde nationale, en attentant à la vie de trois des principaux chefs de l’administration, en enlevant le roi et la famille royale pour les mener à Péronne, en dissolvant l’Assemblée Nationale, et en marchant en force vers la ville de Paris, ou en lui coupant les vivres pour la réduire. »

Conduit à la Grève, Favras monta à l’Hôtel-de-Ville, et fit son testament.

« La nuit étant venue, dit un historien contemporain, on a distribué des lampions sur la place de Grève, et on en a mis jusque sur la potence. Il est descendu de l’Hôtel-de-Ville, marchant d’un pas assuré. Au pied du gibet, il a élevé la voix en disant : « Citoyens, je meurs innocent, priez Dieu pour moi ! » Vers le second échelon, il a dit d’un ton aussi élevé ; « Citoyens, je vous demande le secours de vos prières, je meurs innocent ! » Au dernier échelon il a dit : « Citoyens, je meurs innocent, priez Dieu pour moi ! » Puis s’adressant au bourreau : « Et toi, fais ton devoir. »