monument que nous avons bien voulu agréer, continuera d’être formée et construite jusqu’à son entière perfection dans l’emplacement par nous désigné, etc., et que tous les ouvrages de constructions et décorations nécessaires pour la formation et perfection de la dite place, seront faits par les ordres et par les soins des prévost des marchands et échevins et exécutés par le maitre général des bâtiments de la ville, sous la conduite et inspection du sieur Gabriel, notre premier architecte, etc.
Art. 2. À l’effet de quoi, nous avons par ces présentes cédé, abandonné, cédons et abandonnons, même faisons tous dons et délaissons aux dits prévost des marchands et échevins de l’entier terrain à nous appartenant dans l’étendue de ladite esplanade et contenu dans l’espace de 183 toises de longueur ou environ, etc.
Art. 8. Notre intention étant que les constructions des façades décorées des bâtiments qui termineront la place ainsi que celles des maisons qui seront élevées, tant sur les faces des arrière-corps que sur celles des nouvelles rues, soient entièrement conformes aux dessins par nous approuvés et ci-attachés sous le contre-scel de notre chancellerie, nous ordonnons aux dits prévost des marchands et échevins d’y tenir la main, d’y assujettir les propriétaires particuliers des terrains auxquels ils jugeront à propos de permettre de construire eux-mêmes les façades de leurs maisons, tant sur la place que sur les rues y aboutissantes. — Donné à Versailles, le 21e jour de juin, l’an de grâce 1757, et de notre règne le 42e. Signé Louis, etc… »
Le 20 juin 1763, on découvrit la statue équestre de Louis XV, modelée par le célèbre Bouchardon. Elle avait été fondue d’un seul jet par Gor, commissaire des fontes de l’artillerie. Le roi, couronné de lauriers et coiffé à la moderne, portait le vêtement romain. Le cheval seul se distinguait par la beauté et l’élégance de ses formes ; Bouchardon était mort avant devoir terminé son œuvre. Pigalle, qui lui succéda, fut chargé d’exécuter aux quatre angles du piédestal, des figures en forme de caryatides représentant la Paix, la Prudence, la Force et la Justice.
Cette statue était venue trop tard. À madame de Châteauroux avait succédé la fille du boucher Poisson, la trop célèbre marquise de Pompadour. La luxure royale, en perdant toute pudeur, affligeait les mœurs et l’esprit public. Aussi le peuple, le vrai peuple, resta froid devant tout ce bronze. Les quatre vertus du piédestal attirèrent au roi de malignes allusions.
La plus sanglante est celle-ci :
O la belle statue ! ô le beau piédestal !
Les vertus sont à pied, le vice est à cheval.
Après que le burin official du graveur-juré de la bonne ville de Paris, eût creusé dans le piédestal cette inscription : Hoc pietalis publicæ monumentum, præfectus et ædiles decreverunt anno 1748, posuerunt anno 1763, un individu monta sur le cheval, banda les yeux du monarque, lui attacha au cou une boite de ferblanc et lui mit sur la poitrine cet écriteau. N’oubliez pas ce pauvre aveugle, s’il vous plait !
Cependant l’architecte Gabriel se mit à l’œuvre pour préparer à la statue son encadrement. L’imagination de l’ordonnateur avait beau jeu ; le champ était vaste. Gabriel entoura son plan d’une espèce de fosse de place forte, avec un revêtement en maçonnerie et une balustrade en pierre. Puis, de chacun des angles, il fit partir vers le centre une large bande coupant l’enceinte, qui se trouva fractionnée ainsi en huit petits fosses, termines chacun par un pavillon. Ce plan, ingénieusement imité de la rose des vents, n’était coquet que sur le papier. Lorsque les travaux furent achevés en 1772, on entrevoyait à peine les fossés et les pavillons. Heureusement Gabriel vint rehausser ces décorations liliputiennes en élevant au fond de la place deux magnifiques hôtels. Ces constructions d’une rare élégance, reposent agréablement l’œil fatigué du vide.
Les ouvriers étaient encore à l’œuvre quand arriva cette nuit fatale du 30 au 31 mai 1770. La France mariait son dauphin, et la prévôté des marchands, jalouse d’égayer la fête, avait préparé des jeux publics et commandé un magnifique feu d’artifice. La jeune archiduchesse arrivait confiante dans l’avenir, et se demandait, toute joyeuse des applaudissements du peuple, ce qu’elle avait fait pour mériter tant d’amour.
La dernière étincelle venait de s’éteindre dans les airs, lorsqu’une masse composée de plus de deux cent mille personnes, s’ébranla pour faire retraite. Un fossé de la place qu’on n’avait pas comblé, des maisons en construction dans la rue Royale, arrêtaient la foule qui se porta dans cette rue et s’y entassa. L’encombrement devint affreux. Un flot de curieux, qui arrivait des boulevarts, pour avoir sa part des débris de la fête, vint tout à coup barrer le passage. La mêlée devint horrible. Quiconque trébuchait était mort. On vit des furieux, l’épée à la main, frapper devant eux pour se faire jour. Le lendemain, cent trente-trois cadavres étaient étendus sur la place. « J’ai vu, dit Mercier (l’auteur du Tableau de Paris), plusieurs personnes languir pendant trente mois des suites de cette presse épouvantable, porter sur leurs corps l’empreinte forte des objets qui les avaient comprimés. D’autres ont achevé de mourir au bout de dix années. Cette presse coûta la vie à plus de douze cents infortunés, et je n’exagère point. Une famille entière disparut. Point de maison qui n’eut à pleurer un parent, un ami. »
Les morts enterrés, la scène change. La place Louis XV se peuple de danseurs de corde, d’avaleurs de sabres, de mangeurs de serpents, de marchands de pain d’épices, de pantins ; nous sommes à la foire Saint-Ovide. Les cris des saltimbanques étourdissent les nobles propriétaires des hôtels voisins qui adressent leurs plaintes à l’autorité. Il était question de débarrasser la place Louis XV de ces hôtes incommodes lorsque,