Cette place n’était pas au bout de ses métamorphoses patronimiques ; chaque révolution, chaque déplacement de pouvoir lui apportait un nouveau baptème. Une loi du 26 octobre 1795 lui donna le nom de place de la Concorde. Quelques jours après, des ouvriers, en restaurant la statue de la Liberté, trouvèrent dans le globe qui tenait la déesse, un nid de tourterelles. L’augure parut favorable et confirma cette dénomination.
Le 9 thermidor avait annonceé à la France une ère nouvelle. La révolution terminait sa marche ascendante, le Directoire devait être après la Convention ce que la régence avait été après Louis XIV. Le nouveau pouvoir, par ses débauches fastueuses et ses vices trop connus, ménageait une transition facile de la terreur au Consulat, d’une tyrannie de fait au despotisme organisé. Tous les chefs de parti avaient disparu emportés par la tourmente, un soldat resta seul sur la brèche. Il commença par chasser la statue de la Liberté qui n’avait plus de sens, et le ministre de l’intérieur fut chargé de poser sur la place de la Concorde la première pierre d’une colonne triomphale. Cependant le consulat même à vie ne suffisait plus au vainqueur de Marengo, il pose lui-même sur son front la couronne impériale et bientôt Paris s’apprête à recevoir dignement une nouvelle impératrice. Déjà la blonde Autrichienne fait rouler son carrosse doré sur ces mêmes pavés qui ont reçu la tête de sa tante. Rien ne manque à la fête officielle, hors les sympathies du peuple, dont les regrets accompagnent la femme, qui va dans l’exil, à la Malmaison, expier son impériale stérilité. Mais d’autres fêtes s’apprêtent, l’homme qui avait nivelé les Alpes comme Charlemagne, effacé les Pyrénées comme Louis XIV, qui chaque année avait reculé les frontières de son empire bien au-delà des limites naturelles que Dieu a données à la France, ce colosse, à l’étroit dans un monde, vient d’être perfidement jeté sur une île de la Méditerranée. Son empire est morcelé, sa capitale violée. Sur un autel dressé au milieu de la place de la Concorde, des prêtres chantent un Te Deum dans un rite étranger. Les armées russe, prussienne et autrichienne défilent en poussant des hourra sauvages. Quelques jours après l’inscription républicaine a disparu et le nom de Louis XV est rendu à cette place. — Il nous reste encore d’autres changements à enregistrer : le 27 avril 1826, le roi Charles X rendait une ordonnance ainsi conçue :
« Charles, etc…, vu l’article 3e de la loi du 19 janvier 1816, sur le rapport de notre ministre secrétaire d’État au département de l’intérieur ;
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Il sera élevé un monument à la mémoire de Louis XVI, au centre de la place située entre les Tuileries et les Champs-Élysées, laquelle prendra le nom de place Louis XVI. La première pierre de ce monument sera posée le 3 mai prochain, etc…
Donné au château des Tuileries, le 27 avril, l’an de grâce 1826, et de notre règne le 2e. Signé Charles. »
Cette ordonnance n’a pas été exécutée.
Enfin la propriété de cette place et des Champs-Élysées qui avait été réunie au domaine national par la loi du 27 novembre 1793, a été concédée à la ville de Paris à la charge de divers travaux et constructions, par la loi dont nous rapportons le texte :
« Au château de Saint-Cloud, le 20 aout 1828. — Charles, etc… — Article unique. Sont concédées à la ville de Paris, à titre de propriété, la place Louis XV, la promenade dite des Champs-Élysées telles qu’elles sont désignées au plan annexé à la présente loi, y compris les constructions dont la propriété appartient à l’État, et à l’exception des deux fosses de la place Louis XV, qui bordent le jardin des Tuileries. Ladite concession est faite à la charge par la ville de Paris : 1o de fournir aux frais de surveillance et d’entretien des lieux ci-dessus désignés ; 2o d’y faire dans un délai de cinq ans des travaux d’embellissement jusques à la concurrence de deux millions deux cent trente mille francs au moins ; 3o de conserver leur destination actuelle aux terrains concédés, lesquels ne pourront être aliénés en tout ou en partie, etc. Signé Charles. »
La révolution de 1830 a d’abord rétabli le nom de place de la Concorde. On allait se mettre à l’œuvre et commencer les embellissements, lorsque l’invasion du choléra vint retarder les travaux. Les dépenses qui furent faites pour combattre le fléau dépassèrent le chiffre d’un million. Les sacrifices que la ville s’imposait alors si noblement ne lui permirent pas de consacrer plus tard à l’embellissement de la place de la Concorde la somme fixée par la loi de 1828. En 1834 fut promulguée une nouvelle loi qui réduisait la dépense. Voici un extrait de cette loi :
« Au palais des Tuileries, le 31 mai 1834. Louis-Philippe, etc… — Article 1er. Il est accordé à la ville de Paris un délai de cinq ans, à partir du 20 août 1833, pour l’exécution des travaux d’embellissement qu’elle doit faire aux Champs-Élysées et à la place de la Concorde, conformément à la loi du 20 août 1828.
Art. 2. La somme de deux millions deux cent trente mille francs que la ville devait employer à ces travaux, est réduite à quinze cent mille francs.
Art. 3. Les travaux devront être exécutés annuellement par cinquième, et il devra être employé annuellement trois cent mille francs, etc., etc… Signé Louis-Philippe. »
Au milieu de la place de la Concorde s’élève l’obélisque de Louqsor, présent du pacha d’Égypte. Au mois d’avril 1831, un bâtiment fut envoyé à Alexandrie, sous le commandement de M. Verninhac-Saint-Maur, pour amener en France le monolithe égyptien. M. Lebas, ingénieur de la marine, fut chargé des opérations d’abattage et d’embarquement. Après des travaux et des difficultés sans nombre, on parvint à embarquer le monolithe qui arriva à Paris le 23 décembre 1833. Trois années s’écoulèrent avant que l’obélisque fut dressé. On construisit dans l’intervalle les fondations et l’on prépara le