Page:Lazare - Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844.djvu/232

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à la rue Saint-Denis. En cet endroit se trouvait une porte fortifiée nommée bastille Saint-Denis. De cette bastille, le mur d’enceinte suivait la direction de la rue de Bourbon-Villeneuve, puis celle de la rue Neuve-Saint-Eustache. Sur l’emplacement où cette voie publique aboutit à la rue Montmartre, on voyait une porte fortifiée nommée porte Montmartre. Le mur d’enceinte suivait, à partir de cette porte, la ligne de la rue des Fossés-Montmartre, traversait la place des Victoires, coupait l’emplacement de l’hôtel de Toulouse (aujourd’hui la banque de France), celui des rues des Bons-Enfants et de Valois, et passait dans le jardin du Palais-Royal, vers le milieu de sa longueur. La ligne du mur d’enceinte continuait alors à travers la rue de Richelieu jusqu’à la rue du Rempart, qu’elle traversait pour aboutir à la rue Saint-Honoré, vers l’entrée de la rue Traversière où se trouvait la porte Saint-Honoré. Enfin de cet endroit le mur se prolongeait sur l’emplacement de la rue Saint-Nicaise, et s’arrêtait à la Tour de Bois, au bord de la Seine.

L’armée de Jeanne-d’Arc, composée de douze mille hommes, occupait la butte Saint-Roch, et le terrain entre ce monticule et la bastille Saint-Denis. Vers les onze heures du matin, le boulevart extérieur près de la porte Saint-Honoré fut emporté par les troupes commandées par la Pucelle et le duc d’Alençon. Jeanne voulut passer outre et assaillir le rempart, « mais elle n’estoit pas informée de la grande eaue qui estoit ès fossés ; et il y en avoit aucuns qui le sçavoient et qui eussent bien voulu par envie qu’il lui arrivast malheur. » Jeanne, une lance à la main, monta sur la contrescarpe pour sonder l’eau ; en ce moment, un trait d’arbalète lui perça la jambe, et son porte-étendard fut tué à côté d’elle. « Ce nonobstant elle ne vouloit partir de ce lieu, et, couchée sur le bord du fossé, elle continuoit d’exciter l’ardeur des assaillants, et faisoit toute diligence de faire apporter et jeter des fagots et du bois dans le fossé, espérant pouvoir passer jusqu’au mur ; mais la chose n’estoit pas possible, vu la grande eaue qui y estoit. »

Jeanne resta en cet endroit jusqu’au soir. Lorsque plusieurs capitaines vinrent pour l’emmener, la physionomie de l’héroïne leur parut empreinte d’un profond chagrin : Jeanne voulait mourir à son poste. Le duc d’Alençon fut obligé de venir lui-même la chercher.

Martial d’Auvergne, procureur à Paris, qui a composé une chronique rimée et connue sous le nom des Vigiles de Charles VII, raconte ainsi la tentative de Jeanne-d’Arc sur Paris.

D’un côté et d’autres, canons
Et coulleuvrines si ruoient,
Et ne voyoit-on qu’empanons
De flèches qui en l’air tiroient.

A donques Jehanne la Pucelle
Se mist dans l’arrière fossé,
Où fist de besogner mervelle
D’un courage en ardeur dressé.

Un vireton que l’on tira
La vint en la jambe asséner,
Et si point ne désempara
Ne s’en voult oncques tourner.

Bois, huis, fagots faisoit géter,
Et ce qu’es toit possible au monde,
Pour cuider sur les murs monter ;
Mais l’eau estoit trop parfonde.

Les seigneurs et gens de façon
Lui mandèrent s’en revenir,
Et y fust le duc d’Alençon
Pour la contraindre à s’en venir.

Après cet échec, Jeanne se rendit à la basilique de Saint-Denis, et à la manière des anciens, elle y appendit les armes dont elle s’était servie, puis elle s’agenouilla devant la châsse vénérée de l’apôtre de la France. Sa mission lui paraissant accomplie, la jeune fille manifesta le désir de retourner à son village ; mais les instances du roi parvinrent à triompher de sa résolution. Charles VII n’ayant pas assez de ressources pour continuer la guerre autour de Paris, repassa bientôt la Loire avec son armée.

Trois grands poètes ont chanté Jeanne, Schakespeare, Voltaire et Schiller. Dans Schakespeare, la Pucelle est une sorcière ; dans Schiller, c’est une femme divine inspirée du ciel. Quant à Voltaire, on sait ce qu’il a fait de l’héroïne de Vaucouleurs. Rendons hommage au temps où nous vivons, ce crime du génie, cette débauche du talent ne serait plus possible aujourd’hui ; Voltaire serait forcé d’être Français par ses sentiments comme par sa gloire. Les grandes insultes à la patrie ne peuvent avoir lieu maintenant, car la liberté est la sauvegarde de ces renommées nationales qui appartiennent à tous les citoyens.

Jeanne-d’Arc n’est pas la seule illustration qui se rattache à la voie publique dont nous esquissons l’histoire. À l’angle de la rue de Richelieu s’élève un monument consacré à Molière. Il y a quelques années, le conseil municipal avait voté là reconstruction d’une fontaine en cet endroit, et personne n’avait songé à l’illustre poète, lorsqu’un artiste dramatique, amoureux de son art comme sont tous les talents supérieurs, écrivit à M. le comte de Rambuteau la lettre que nous reproduisons :

« Monsieur le Préfet,

Le Journal des Débats, dans son numéro du 14 février, annonce la prochaine construction d’une fontaine à l’angle des rues Traversière et Richelieu. Permettez-moi, Monsieur le Préfet, de saisir cette occasion de rappeler à votre souvenir que c’est précisément en face de la fontaine projetée, dans la maison du passage Hulot, rue Richelieu, que Molière a rendu le dernier soupir, et veuillez excuser la liberté que je prends de vous faire remarquer que, si l’on considère cette circonstance et la proximité du Théâtre-Français, il serait impossible de trouver aucun emplacement où il fût plus