Page:Lazare - L’Antisémitisme, 1894.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des Pleurs » dit le vieux chroniqueur, « car il est bien selon ce titre. Quiconque le lira sera haletant, ses paupières ruisselleront, et les mains posées sur les reins il se dira : Jusques à quand, mon Dieu ! »

Quelles fautes pouvaient mériter aussi effroyables châtiments ? Combien poignante devait être l’affliction de ces êtres. En ces heures mauvaises ils se serrèrent les uns contre les autres et se sentirent frères, le lien qui les attachait se noua plus fort. À qui auraient-ils dit leurs plaintes et leurs faibles joies, sinon à eux-mêmes ? De ces communes désolations, de ces sanglots naquit une intense et souffrante fraternité. Le vieux patriotisme juif s’exalta encore. Il leur plut, à ces délaissés, maltraités dans toute l’Europe et qui marchaient la face souillée de crachats, il leur plut de sentir revivre Sion et ses collines perdues, d’évoquer, suprême et douce consolation, les bords aimés du Jourdain et les lacs de Galilée : ils y arrivèrent par une intense solidarité ; au milieu des gémissements et des oppressions ils furent amenés davantage à vivre entre eux, à s’allier étroitement. Ne savaient-ils pas que dans leurs voyages ils trouveraient un sûr abri seulement chez le Juif, que si la maladie les saisissait sur la route, seul un Juif les secourrait fraternellement et que s’ils mouraient loin des leurs, des Juifs seuls les pourraient ensevelir suivant les rites et dire sur leurs corps les coutumières prières ?

Cependant, si l’on veut comprendre exactement la situation des Juifs pendant ces âges sombres, il faut