Page:Lazare - Une erreur judiciaire. La vérité sur l'affaire Dreyfus, Veuve Monnom, 1896.djvu/10

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ment forgé avec le plus grand soin, il appert manifestement que c’est la même personne qui a écrit la lettre et les pièces communiquées. » Nous serons conduit à examiner le rapport de M. Bertillon.

Le 14 octobre, M. le commandant du Paty de Clam, chef de bataillon hors cadre, fut délégué par le ministre de la guerre comme officier de police judiciaire à l’effet de procéder à l’instruction de l’affaire et à l’arrestation du capitaine Dreyfus.

Ainsi, puisqu’il nous faut toujours ignorer la pièce que le général Mercier continuait à tenir secrète et à dérober à l’instruction comme elle le sera à la défense, il suffisait de deux expertises contradictoires pour jeter en prison un homme que rien n’accusait. Avec ce système, on peut emprisonner tout le monde. Si l’on admet que le témoignage de deux experts, en l’absence de toute autre preuve, est suffisant pour accuser quelqu’un et pour convaincre un juge, c’en est fait de la liberté de chacun. Que dire alors, lorsqu’on se contente d’une seule affirmation prétendue compétente, quand elle est démentie par l’affirmation contraire d’un expert de compétence égale ? L’égarement fut tel que, je l’affirme encore, on ne songea pas à faire filer l’officier suspect, alors qu’il ne se doutait pas de l’accusation dont il était l’objet, on ne tenta ni de suivre ses démarches, ni de contrôler sa correspondance. On me démentira peut être, on dira que tout cela a été fait, et je le nie.


L’ARRESTATION

Je reviens au récit de l’Éclair. Suivant lui, le commandant du Paty de Clam écrivit le 14 octobre au capitaine Dreyfus pour le prier de vouloir bien venir le trouver au ministère le lendemain matin pour une communication qui l’intéressait :

« Dreyfus, qui était loin de soupçonner que l’on connaissait ses agissements, fut exact au rendez-vous. Il arriva à l’heure fixée, vêtu d’un costume civil.

— Je suis très heureux de vous voir, mon cher camarade, lui dit le commandant. Si vous le voulez, nous sortirons ensemble tout à l’heure et je vous communiquerai ce que j’ai à vous dire ; en ce moment je suis très pressé ; soyez donc assez aimable, pour écrire sous ma dictée, pendant que je classe les dossiers que j’ai là, une lettre que j’ai à envoyer au général de Boisdeffre, au sujet de documents qu’il m’a demandés.

— Bien volontiers, mon commandant, répondit Dreyfus.

Le commandant se mit alors à dicter au capitaine une lettre dont les termes étaient exactement les mêmes que ceux de la lettre dans laquelle le traître annonçait l’envoi des cinq documents que nous avons énoncés plus haut et qui commençait par ces mots : « Je pars… »

À ces premiers mots, le capitaine pâlit ; sa main trembla, la plume décrivait des sinuosités.

— Mais écrivez donc droit, mon cher, dit le commandant.

Dreyfus chercha à se ressaisir, mais, presque aussitôt, sa main fut agitée par un tremblement nerveux.

— Qu’avez-vous donc ? reprit le commandant.

— J’ai froid aux doigts, répondit, après quelque hésitation, Dreyfus en balbutiant.