Aller au contenu

Page:Lazare - Une erreur judiciaire. La vérité sur l'affaire Dreyfus, Veuve Monnom, 1896.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La température était ce jour-là très modérée et il y avait du feu dans le bureau. Le commandant continua sa dictée, mais bientôt Dreyfus lui dit :

— Je ne sais ce que j’ai, il m’est impossible d’écrire.

Alors le commandant se leva brusquement, se dirigea vers la porte d’une pièce voisine et l’ouvrit. M. Cochefert, chef de la sûreté, et le commandant Henry, attaché à la section de statistique, entrèrent dans le bureau.

M. Cochefert marcha vers Dreyfus, lui mit la main sur l’épaule.

— Au nom de la loi, je vous arrête.

— Mais pourquoi ? de quoi m’accuse-t-on ? dit le capitaine.

— Vous le savez bien, répondit le commandant Mercier du Paty de Clam ; votre émotion en écrivant la lettre que je vous dictais tout à l’heure en est une preuve suffisante.

— Je vous affirme que je ne comprends pas, reprit Dreyfus bouleversé.

— Allons donc ! Il est inutile de vous débattre devant l’évidence. Votre trahison est découverte.

Le capitaine continua à protester de son innocence, disant qu’il était victime d’une erreur ou d’une vengeance ; mais le chef de la sûreté fit cesser la scène, en le remettant aux mains du commandant Henry, qui l’emmena aussitôt et le fit monter dans une voiture qui stationnait devant la porte du ministère. Les deux officiers étaient vêtus en civil et rien dans leur attitude ne pouvait laisser soupçonner que l’un d’eux était un prisonnier.

Dix minutes plus tard la voiture s’arrêtait devant la prison du Cherche-Midi et les deux officiers se dirigeaient, sans que personne fît attention à eux, vers le logement de l’agent principal, où attendait le chef de bataillon Forzinetti, commandant les prisons militaires du gouvernement de Paris.

Le commandant Henry remit au commandant Forzinetti un ordre du ministre de la guerre, lui prescrivant d’écrouer le capitaine Dreyfus, accusé de haute trahison, sans inscrire son nom sur les registres de la prison, de le mettre au secret sans qu’il pût communiquer avec le personnel de surveillance, à l’exception de l’agent principal qui serait seul chargé d’assurer sa nourriture. L’ordre portait également qu’il était formellement interdit, tant au commandant qu’à l’agent principal, de faire connaître à qui que ce fût l’arrestation du capitaine.

Le capitaine Dreyfus fut alors conduit dans une chambre voisine du logement de l’agent principal et y fut enfermé.

Quelques heures plus tard, le commandant Mercier du Paty de Clam se présentait, accompagné du chef de la sûreté, au domicile du traître, et demandait à parler à Mme Dreyfus, qui le reçut aussitôt.

— Nous sommes chargés. Madame, dit le commandant, d’accomplir auprès de vous une très triste mission.

— Mon mari est mort ! s’écria Mme Dreyfus.

— Non, Madame.

— Il est blessé alors !

— Non, Madame. Il est retenu par ordre du ministre, et nous avons été requis de perquisitionner ici dans les papiers de votre mari.

Le commandant et le chef de la sûreté fouillèrent minutieusement. Leurs recherches furent vaines ; ils ne trouvèrent rien. Les pièces compromettantes avaient été mises à l’abri, probablement dans le coffre-fort d’un complice. »

Est-ce ainsi que se passèrent les événements ? Pas précisément. Nous allons rectifier :

Le lundi 15 octobre, le capitaine Dreyfus, convoqué par lettre du 13 octobre et non du 14, comme je l’ai déjà dit, sous prétexte d’inspection générale, se rendit au ministère. Quand le chef d’état-major général reçoit les officiers en inspection, il les reçoit sans témoins ; lorsque le capitaine Dreyfus fut introduit dans le cabinet du général de Boisdeffre, il se trouva, à sa grande surprise, en présence du commandant du Paty de Clam et de trois personnes qu’il ne connaissait pas ; le commandant le pria de s’asseoir à une table en attendant le général de Boisdeffre, qui ne