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Page:Lazare - Une erreur judiciaire. La vérité sur l'affaire Dreyfus, Veuve Monnom, 1896.djvu/14

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du Paty de Clam dirigea l’instruction et agit vis-à-vis de l’homme qu’on lui avait livré, complétera le tableau que je viens de tracer de l’équité et de l’impartialité du juge.

Au secret, le capitaine Dreyfus fut mis pendant dix-sept jours à la torture, torture morale plus abominable cent fois que la torture matérielle. Pendant quinze jours, il ignora l’accusation qui pesait sur lui. Il recevait cependant la visite journalière du commandant du Paty de Clam. Leicommandant venait le soir, accompagné de son greffier, et dans ces entrevues il oublia toujours qu’il avait devant lui un accusé et non un coupable. Il n’abordait l’homme qu’on avait mis entre ses mains que l’injure à la bouche. A celui qu’il laissait dans l’ignorance du crime dont on l’accusait, il enlevait tous les moyens de défense. Il faisait subir au mari les angoisses qu’il faisait subir à la femme.

Il lui disait : « Vous êtes perdu, il n’y a que la Providence pour vous tirer de là. » A ses interrogations désespérées il ne faisait que des réponses ambiguës. Un soir, il supplia ses tourmenteurs, leur demandant de lui dire de quoi il s’agissait ; le greffier répondit : « Supposez qu’on trouve votre montre dans une poche ou elle n’aurait pas dû être » ; le commandant du Paty acquiesça d’un geste. On le prévenait que ses complices allaient être arrêtés ; que son emprisonnement, quoique secret, était connu de toutes les « officines allemandes ». S’il attestait son innocence, son bourreau lui répliquait : « L’abbé Bruneau disait aussi qu’il était innocent et cependant il est mort sur l’échafaud. »

Dix fois, dans son affolement, le malheureux voulut se suicider ; dix fois il résista, car il savait que le suicide serait pour les esprits prévenus l’aveu de sa culpabilité et qu’étant innocent il n’avait pas le droit de mourir.

Jusqu’au quinzième jour de son arrestation on posa au capitaine Dreyfus des questions à double entente et on fit divaguer son esprit en le lançant sur les pistes les plus contradictoires. Nous verrons le parti que l’instruction a tiré dece système. Enfin, le quinzième jour, on lui montra la photographie du bordereau qu’on l’accusait d’avoir écrit. Le lendemain le commandant du Paty de Clam remettait son rapport au général Mercier.


LA SECONDE INSTRUCTION

« Ce n’est que le 1er novembre, poursuit l’Éclair, que le public apprenait, par une note de l’Éclair, l’arrestation du traître. Le général Saussier fit appeler le commandant Forzinetti et lui reprocha vivement de ne pas lui avoir rendu compte de l’incarcération du capitaine ; le commandant se retrancha derrière les ordres du ministre qui n’admettaient aucune exception, et le gouverneur de Paris finit par reconnaître que la conduite de son subordonné avait été absolument correcte.

Le 3 novembre, le général Saussier recevait du ministre de la guerre le dossier de l’affaire et donnait immédiatement l’ordre d’informer contre le capitaine Dreyfus, prévenu de s’être rendu coupable du crime prévu et réprimé par l’article 76 du Code pénal ainsi conçu :

« Quiconque aura pratiqué des machinations ou entretenu des intelligences avec les puissances étrangères ou leurs agents, pour les engager à commettre