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Page:Lazare - Une erreur judiciaire. La vérité sur l'affaire Dreyfus, Veuve Monnom, 1896.djvu/18

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Au cours de sa déposition devant le Conseil de guerre, déposition qui dura trois heures, et fut incompréhensible pour tous, comme le déclara le commissaire du gouvernement, commandant Brisset, M. Bertillon affirma qu’il avait trouvé dans le bordereau, à l’aide de procédés qui lui sont spéciaux, la somme touchée par le capitaine Dreyfus comme prix de sa trahison : cinq cent mille francs.

Quand on prétend posséder de pareils moyens d’investigation et qu’on tient entre ses mains, comme expert assermenté, l’honneur et la liberté des gens, on devient un maniaque dangereux.


LA DÉCOUVERTE DU DOCUMENT

Venons-en au document. Comment tomba-t-il entre les mains du ministère ? Nous l’ignorons, mais voici le récit que, sous la signature de Monville, nous fait le Journal du 16 septembre 1896 :

Vers la fin de septembre 1894, lorsque l’on eut constaté une « fuite » dans les bureaux de l’état-major du ministère de la guerre et que l’on fut parvenu à se procurer la photographie d’une lettre que les attachés militaires allemands adressaient à leurs collègues de l’ambassade italienne, on s’employa à établir nettement la culpabilité de Dreyfus. Ce ne fut pas chose facile ; il fallut user de stratagèmes et de ruses, mais enfin les recherches du service de renseignements de la guerre furent couronnées de succès.

Il y avait à l’ambassade d’Allemagne un garçon de bureau très naïf et très complaisant dont l’unique fonction consistait à balayer, ranger et épousseter les bureaux. Ce domestique, qui gagnait peu et était très âpre au gain, ne négligeait aucune occasion d’augmenter ses maigres émoluments par toutes sortes de petits profits. Cet amour de l’argent l’a perdu.

Depuis plusieurs années, il vendait à un chiffonnier les papiers qu’il trouvait dans les corbeilles de l’ambassade, bien qu’on lui eût formellement recommandé de brûler tout ce qu’il trouvait en faisant ses bureaux. Cet homme était loin de se douter qu’il pût y avoir dans les paperasses déchirées, chiffonnées qu’il ramassait, des choses de la plus haute importance pour certaines gens. Or, un jour, au moment où il sortait du 78 de la rue de Lille, il se trouva en face de deux chiffonniers qui l’abordèrent très poliment.

— Pardon, Monsieur. Vous vendez les vieux papiers que vous ramassez tous les jours à un marchand qui ne vous donne presque rien, qui vous exploite. Si vous vouliez faire affaire avec nous, vous réaliseriez de sérieux bénéfices.

Les pourparlers durèrent quelques minutes ; puis, le marché fut conclu et scellé devant un comptoir de marchand de vins. Le lendemain, les deux chiffonniers, qui étaient maintenant au mieux avec le garçon de l’ambassade, pénétraient dans l’immeuble de la rue de Lille et prenaient livraison des vieux papiers.

Pendant une semaine, ils vinrent régulièrement tous les matins. De temps à autre, ils offraient un verre au garçon qui, en bon Allemand qu’il était, aimait assez à lever le coude. Leur moisson faite, les chiffonniers s’en allaient, faisaient plusieurs détours, puis arrivaient sur le quai où un homme les allégeait de leurs paniers qui, mis dans une voiture, étaient aussitôt portés au ministère de la guerre. Là, on tes triait minutieusement. Un jour, l’attention fut enfin attirée par ces mots écrits sur un bout de papier bulle :

« Je vous enverrai très prochainement… manœuvres de la pièce… Madagascar… quand je serai… »

On rechercha les autres morceaux de la lettre qui avait été déchirée en quatre — ce qui faisait seize fragments — et on reconstitua la pièce qui allait devenir la principale preuve, celle qui devait atterrer le coupable. »

Je ne discuterai pas cette version, et ne chercherai pas à savoir