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Page:Lazare - Une erreur judiciaire. La vérité sur l'affaire Dreyfus, Veuve Monnom, 1896.djvu/27

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« Les attachés militaires à l’ambassade allemande, en septembre, adressaient à leurs collègues de l’ambassade italienne une lettre chiffrée. Cette lettre quitta bien ses auteurs pour aller entre les mains de ses destinataires, mais entre le point de départ et le point d’arrivée elle avait été habilement lue et prudemment photographiée.

C’était une lettre chiffrée, au chiffre de l’ambassade allemande. Ce chiffre on le possédait et l’on peut penser qu’il était d’une utilité trop grande pour que la divulgation d’un tel secret pût être rendue publique. On verra plus loin que ce fut la raison pour laquelle la lettre en question ne fut pas versée au dossier, et ne fut qu’en secret et dans la chambre de délibération, hors de la présence même de l’avocat, communiquée aux juges du Conseil de guerre.

Vers le 20 septembre, le colonel Sandherr, chef de la section de statistique, communiquait au général Mercier cette lettre qui avait été déchiffrée. Elle était relative au service d’espionnage à Paris et contenait cette phrase : Décidément cet animal de DREYFUS devient trop exigeant. »

Cette lettre existe-t-elle ? Oui. A-t-elle été communiquée secrètement aux juges ? Oui. La phrase que cite l’Éclair est-elle contenue dans cette missive ?

Nous croyons pouvoir affirmer que non, nous croyons pouvoir assurer que celui qui a livré au journal « L’Éclair » — cette pièce dont on redoutait à tel point — à cause des complications diplomatiques — la divulgation, que l’on dut, à cause de son existence même, exiger le huis-clos, que celui-là, dis-je, n’a pas craint, ajoutant une infamie à celles déjà commises, de falsifier ce document capital, dont la publication devait achever de convaincre chacun, de la culpabilité du malheureux qui, depuis deux ans, subit un martyre sans nom.

La lettre apportée aux juges ne contenait pas le nom de Dreyfus, mais seulement l’initiale D. Et cela est tellement vrai que, avant la découverte du bordereau que j’ai analysé, découverte qui eut lieu longtemps après la saisie de la lettre, personne ne soupçonna le capitaine Dreyfus, car cette simple initiale pouvait être une initiale conventionnelle, désignant quelqu’un dont le nom ne commençait pas par un D.

Jusqu’à présent, personne n’a démenti le récit de l’Éclair. Il reste acquis, jusqu’à ce que le gouvernement l’ait nié, que la condamnation du capitaine Dreyfus, que nulle preuve suffisante ne provoquait, a été obtenue en mettant sous les yeux des juges une lettre confidentielle. Cette lettre a été systématiquement soustraite à l’accusé, systématiquement soustraite au défenseur. Au cours du procès ils l’ont ignorée ; ils n’ont donc pu la discuter, contester soit son origine, soit l’attribution qu’on faisait d’une initiale à un homme que rien autre ne désignait. Est-il admissible qu’on puisse condamner quelqu’un en lui refusant les éléments nécessaires à sa défense ; n’est-il pas monstrueux qu’on puisse, hors la salle d’audience, peser sur l’esprit, sur la décision, sur la sentence des juges. Est-il permis à qui que ce soit d’entrer dans la chambre des délibérés et de dire au magistrat : « Oublie ce que tu viens d’entendre en faveur de l’homme que tu as à juger, nous avons, nous, en main, des