Page:Lazare - Une erreur judiciaire. La vérité sur l'affaire Dreyfus, Veuve Monnom, 1896.djvu/8

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Nous reviendrons tout à l’heure sur ce document. Notons cependant que, de l’aveu même de l’Éclair, il fut tenu secret par le général Mercier et par le colonel Sandherr, chef de la section de statistique, qui l’avait communiqué au ministre. Il ne put en rien influer sur la marche de l’instruction, ne fut pas invoqué par l’acte d’accusation, pas discuté par conséquent et ne fut produit qu’au dernier moment, quand on voulut agir sur l’esprit des juges hésitants. Poursuivons, toujours d’après l’Éclair :

« Quelques jours plus tard, le chef de la section de statistique apportait au général Mercier une lettre non signée. Elle venait — par une source occulte — de l’ambassade allemande. Ce n’était pas une photographie, mais bien un original. Cette lettre, précédée de quelques mots d’introduction, n’était que le bordereau d’envoi d’un dossier. »

Ceci est exact ; ce bordereau existe et nous aurons à l’examiner plus tard. Sitôt en sa possession, le ministre de la guerre prescrivit des recherches.

L’écriture de la lettre, continue l’Éclair, qui du reste était déguisée, fut comparée d’abord à celle de tous les officiers du cadre fixe, puis à celle des stagiaires ; aucune ne s’en rapprochait. C’est alors que quelques officiers songèrent à l’ancien stagiaire Dreyfus et rappelèrent que, sous prétexte de compléter son instruction personnelle, comme nous l’avons dit, il allait sans cesse d’un bureau à l’autre, regardant pardessus l’épaule de ses camarades ce qu’ils écrivaient, demandant à chacun des renseignements qui, pris séparément, n’avaient pas grande importance, mais présentaient réunis un intérêt considérable, prenant sans cesse des notes sur ce qu’il avait lu ou entendu.

On se souvint que Dreyfus avait eu entre les mains, alors qu’il était attaché à la commission du réseau des chemins de fer de l’Est, de nombreux renseignements concernant le plan de concentration, la marche des trains et les unités qu’ils doivent transporter, les points de débarquement sur les différentes bases. En complétant ces renseignements au moyen de ceux qu’il avait recueillis depuis, il avait pu livrer tout le plan de débarquement sur la base d’opérations contre l’Allemagne.

Le chef du premier bureau prit un document établi par Dreyfus, compara l’écriture avec celle de la lettre de l’ambassade d’Allemagne, et constata entre les deux pièces des similitudes d’écritures telles, qu’il resta convaincu quelles émanaient de la même personne. Il avertit alors le ministre que le traître ne pouvait être que le capitaine Dreyfus.

Faisant allusion à la révélation du nom que lui avait apportée la pièce, que, par raison d’État, il tenait secrète :

— Je le savais déjà, répondit le général Mercier.

Ainsi, par deux voies différentes, l’enquête aboutissait au même résultat ; la culpabilité de Dreyfus était absolument certaine. Cependant le ministre, avant de faire arrêter le traître et de le déférer à la justice militaire, voulut encore s’entourer de nouvelles preuves : il donna l’ordre au colonel Sandherr de faire filer Dreyfus, et bientôt les agents du service des renseignements purent s’assurer que le capitaine entretenait, à Paris même, des relations avec une personne affiliée au service d’espionnage du grand état-major allemand.

Le commandant Mercier du Paty de Clam, attaché au troisième bureau de l’état-major de l’armée, fut alors chargé d’établir l’enquête préliminaire, qui doit précéder l’ordre d’informer donné à la justice militaire. Il réunit toutes les preuves de culpabilité, sauf la photographie de la lettre chiffrée interceptée, que le ministre, pour les motifs que l’on sait, tint à conserver par devers lui  .  .  .  .  .

Ce récit est erroné et la marche de l’enquête y est rap-