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LA CROIX DE SANG

Avec la canne on pouvait assommer un bœuf, dans le soulier je me fourrais les deux pieds tout chaussés.

Ce géant demeurait sur la côte de la petite rivière du Chêne, tout près du pont. Il pesait plus de cinq cents livres, était fort comme dix et amoureux comme douze.

Or, la nièce José-Baptiste me conta que le gros Modeste avait fait cette croix à l’époque où l’on ouvrait le chemin du roi. Il survint au moment où six hommes s’efforçaient en vain de rouler, à quelques pas, une roche énorme qui brisait la ligne droite de la route.

— Rangez-vous un peu, mes gars, fit-il.

Les gars ne demandaient pas mieux. Ils étaient curieux de voir la force de ce gaillard. Lui, doucement, lentement il se pencha, s’appuya l’épaule au caillou, de ses bras fit un levier, puis se raidissant comme une amarre que la barre du cabestan met à l’épreuve, il souleva la masse lourde et la fit rouler plus loin. Alors, pour commémorer ce tour de force, il marqua la pierre d’une croix rouge.